Patrick F. Cavenair

Un gamin, c’était comme une voiture. Un truc qui fait du bruit, fuit tout le temps et coûte de plus en plus cher avec les années.

Les idées noires comblent les nuits blanches.

L’AFP dispose de marges de manœuvre limitées. Les ministères figurent parmi ses principaux abonnés, des clients fidèles qu’il ne faut pas défier. La politique et le journalisme sont deux rails parallèles. Depuis 1789, c’est la voie conduisant au pouvoir ou à la guillotine : Mirabeau, Marat, Desmoulins, Clemenceau …

Quatre autres personnes renforçaient ce groupe de réflexion. Elles venaient de la Direction du Renseignement militaire (DRM), de la Direction de la Surveillance du territoire (DST), de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) et du ministère de l’Économie et des Finances. La dixième personne était la directrice adjointe du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Andrée Lemaire, la femme au strict chignon roux qui animait cette réunion. Celle-ci reprit brièvement la parole :

A l’approche de la cinquantaine, l’homme de la Police judiciaire avait gagné ses galons au rythme de ses kilos. L’aiguille de sa balance s’était bloquée sur le chiffre de 180. Cette stature colossale autorisait moins les rires que le respect.

Tout en grattant sa barbe sale, il posa ses pieds sur le motif en forme de rosace pour en suivre les contours. L’épure laissée par les compagnons bâtisseurs ressemblait à un vitrail horizontal grandeur nature, certainement le modèle d’un des vitraux de la cathédrale de Bourges. Il était aujourd’hui sur la voie de la vérité. Le présent se construit sur les symboles du passé.

Comme vous le savez, monsieur Takahashi a la double nationalité, française et japonaise. Il vient de la société Nissan, rachetée en 1999 par Renault. Son expertise en matière de moteurs hybrides est inestimable. Notre confrère de la DST peut vous assurer de la plus grande discrétion de monsieur Takahashi qui a rejoint au début de cette année 2003 l’un des postes les plus convoités de Renault au sein des 150 hectares du technocentre de Guyancourt. Nous avons procédé à quelques mois d’observation avant d’intégrer Renault dans notre groupe. Et c’est à la condition de ne pas mêler Nissan dans cette réflexion que nous avons accepté la présence du constructeur automobile français. Monsieur Jacques Takahashi a l’entière confiance de la direction de Renault, et son activité sera complètement cloisonnée afin de la distinguer de celle de Nissan.

De cette hauteur, on distinguait tout Paris. Il était 20 heures précises : la tour Eiffel fit scintiller ses milliers de petites lumières. Un peu partout dans la capitale, presque autant de touristes déclenchaient leurs appareils photo pour immortaliser l’instant. À cette heure-ci, les voitures étaient nombreuses dans la métropole. L’avenue Charles-de-Gaulle était aisément reconnaissable à son effervescente guirlande de feux rouges sur la droite et de phares blancs sur la gauche. Ce ruban de lumières clignotantes était comme branché sur l’Arc de Triomphe qui se détachait en jaune au milieu de la place de l’Étoile. À gauche se profilait la silhouette laiteuse du Sacré-Cœur. Un peu plus loin à droite, le dôme des Invalides recouvert de feuilles d’or dissimulait, autant que faire se peut, la triste silhouette de la tour Montparnasse.

Il se retrouva bientôt à nouveau dans le noir, dans une odeur de chair grillée. Il se précipita aussi vite que sa jambe le lui permettait vers le pilier de l’entrée sud de la cathédrale où se trouvait le boîtier des interrupteurs. Les lustres de la nef diffusèrent leur lumière blafarde. Lorsqu’il revint près du corps, il s’agenouilla sur sa jambe valide et saisit le poignet de la victime pour y déceler un battement. Rien ! Le sang ne coulait plus dans ce corps, mais se répandait en quelques taches cramoisies sur les dalles blanches de la cathédrale. Télus fit une grimace. La situation et l’odeur de chair calcinée lui étaient insupportables. Il se releva précipitamment et se dirigea en soufflant vers la sortie.

Le petit homme rond salua d’un court signe de tête les participants qui le dévisageaient. À la demande du Premier ministre, il avait été choisi par le PDG de Renault pour rejoindre cet influent et discret groupe de travail qui se réunissait tous les trimestres dans cette tour de La Défense, depuis trois ans. Autour de la table, quatre éminents représentants d’autres grands groupes industriels avaient été sélectionnés : Total, Areva, EDF-GDF et Peugeot. Toutes ces sociétés avaient deux points communs : d’une part, leur activité principale était liée à l’énergie – ou plus précisément à sa production ou à son utilisation – ; d’autre part, leurs capitaux étaient majoritairement français.