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Citation de Charybde2


On était en février, et son père qui ne parlait plus que de sa mort prochaine jurait à tort et à travers qu’il voyait des volées de Bouledogues se masser pour lui régler son compte, petites taches aux ailes loqueteuses, flottant tels des flocons de cendre dans les fumées fulgurantes des confins septentrionaux du monde. Âme glacée dans un appartement frisquet côté Voies, le vieillard, comme s’il thésaurisait ses peurs et ses récriminations jusqu’à l’arrivée de son unique enfant, divaguait chaque fois que Diego Patchen honorait, de loin en loin, son devoir filial de visite. Stupéfait, même si l’attitude seyait au personnage, Diego pensait déceler dans ces vitupérations craintives une pointe de sauvage fierté – à croire que la quantité putative de Bouledogues requise pour traîner le vénérable pécheur vers son sort posthume méritait des louanges perverses.
Le Solcycle ayant déserté le ciel ce mois-ci, la neige fondue s’amassait dans les caniveaux de l’Avenue comme si tous les chariots à sorbets du mois d’août s’étaient déversés côté Voies et côté Fleuve. (La chaleur ténue, d’habitude imperceptible, issue du Mauvais Côté des Voies accentuait-elle la fonte le long du bord de trottoir correspondant tandis que la brume givrante venue de l’Autre Rivage solidifiait la gadoue parallèle ? Peut-être, peut-être pas. Les résidents de l’Avenue côté Voies disaient ressentir davantage la chaleur que leurs voisins d’en face l’été, et baisser davantage le thermostat l’hiver. Dans le même ordre d’idée, les habitants côté Fleuve souffraient un peu plus de la saison froide, mais vantaient la fraîcheur de leurs logis quand la canicule faisait rage sous le Solcycle à son apogée. Engigneur enclin au rationalisme, Diego estimait fallacieuses les influences supposées des religions antipodiques ; il s’agissait pour lui de réactions psychosomatiques aux proximités respectives des Voies et du Fleuve.) Passer voir son vieux était une corvée rebutante dans le meilleur des climats ; à cette période de l’année, elle en devenait particulièrement pénible.
Diego habitait l’arrondissement de Vilgravier. Cent mille habitants répartis sur cent Blocs. Maire actuel : le vociférant Jobo Lerouquin. Ambiance : agréable, cultivée, malgré cette appellation rébarbative. Piaule de Diego : un appartement Sur-Rue du 10.394.850ème Bloc de l’Avenue, au-dessus des Primeurs de Gimlett, un commerce de fruits et légumes. (Son père résidait quelques Blocs plus loin vers le Bas de la ville.) L’édifice en basalte accueillant Diego et ses voisins immédiats se situait côté Fleuve.
Sur-Rue et côté Fleuve : chouette. (Ça n’allait pas de soi. Il grimaçait toujours au souvenir d’une enfance toute de jours maussades et de nuits lugubres dans l’appartement où s’éteignait désormais Gaddis Patchen. Les flammes aux murmures subliminaux du Mauvais Côté des Voies jetaient des ombres dansantes sur les parois de la chambre du jeune Diego malgré tous ses efforts pour plaquer le store baissé en toile cirée vert olive contre la fenêtre avant de s’endormir. Et le rugissement des trains à destination du Haut de la ville secouait les carreaux. Ce dont il bénéficiait actuellement, il l’avait mérité, pas hérité.)
Ce matin d’hiver couvert, Diego, qui traînait au lit, avait du mal à se réveiller pour de bon. Une soirée tardive entre amis – trop de cigarettes, un excès de grandiloquence et un ruisseau de forte bière Rude Bravo de Surinebuisson, l’arrondissement voisin – avait laissé ses traces prévisibles. Englué dans des draps moites, il se sentait maussade au point de n’envisager que les maintes injustices imposées par sa vie et d’en ignorer les triomphes compensatoires. La ronde de ses pensées lui présentait donc toute une galerie de personnages…
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