C'est en voyant marcher sur lui, la dague haute, Brutus, qu'après avoir murmuré en grec : "Kai su teknon", César aurait renoncé à se défendre. Peu de "mots" ont fait couler plus d'encre que celui-ci, plus connu dans sa traduction latine : " tu quoque mi fili."
Ne faut-il pas plutôt apprécier à sa juste valeur le poids de l'influence morale de Cicéron dans le courant anti-césarien qui aboutira au meurtre du dictateur ? Poser cette question, c'est poser le problème de la responsabilité des intellectuels, des philosophes, non engagés dans l'action, quand la diffusion de leur pensée ou leur enseignement débouchent, chez leurs disciples ou leurs auditeurs, sur une action. Éternel débat qui fait que le procès de Socrate ne sera jamais clos. Lorsque cette action reste politique, ils l'assument généralement ; quand elle est violente, ils sont souvent plus réticents, non forcément par lâcheté, mais parce que le producteur d'un vin fort ne saurait être tenu pour responsable des effets de ce vin sur les têtes faibles.
L'incapacité de la Gaule à se mobiliser massivement pour servir un dessein commun lui a été fatale : il n'y a pas eu de "liberté" de la Gaule, parce qu'il n'y avait pas de sentiment unitaire, "national" si l'on veut. La Gaule de l'époque est comme l'Europe d'aujourd'hui : un conglomérat de peuples sans dessein, sans idéal, sans sentiments partagés, seulement liés par des convergences d'intérêts et par la vague conscience d'appartenir à une civilisation commune.
Dans une certaine mesure, c'est bien César, ou du moins l'action de César en Gaule, qui a fait Vercingétorix. Mais ni plus ni moins, dans ce cas, que les Anglais auraient fait Jeanne d'Arc.
La comparaison entre nos deux héros nationaux s'arrête là. Car si, à l'époque de la Pucelle, un sentiment patriotique est en train de naître, en partie d'ailleurs grâce à elle, puis à sa légende, Vercingétorix, quand il appelle les Gaulois à la "libertas", ne désigne évidemment par ce mot que le rejet de la domination romaine. Mais lui, ne veut-il aussi, sommairement, que "bouter l'ennemi hors de..." ? Hors de quoi, au fait ? Hors de Gaule ? Mais la Gaule est une entité vague, aux frontières floues, qui n'existe que pour César et qui, plus tard, n'existera, sous la férule romaine, que grâce à Rome, à l'intérieur de limites définies par la conquête césarienne.
Non, ce que veut Vercingétorix, c'est se constituer, dans une zone la plus large possible autour de son royaume arverne, un empire personnel.