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Critiques de Paul Verdevoye (3)
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La route

La Ruta. La Route.

Le deuxieme volet de la Forge d'un Rebelle.

Barea continue de raconter sa vie et celle du peuple qui l'entoure, pendant les annees 20 et les toutes premieres 30 du siecle dernier.

En fait le livre se decoupe en deux parties assez distinctes: son experience militaire au Maroc de 1920 a 1923/24, puis sa vie professionnelle et affective jusqu'au debut des annees 30, ou il temoigne aussi de l'agitation populaire.



Au Maroc, comme il est relativement instruit, il est incorpore dans le genie ou il dresse des plans pour la construction de routes (en fait de larges pistes) censees favoriser le passage des armees. En 1921, lors de la grande defaite espagnole (du grand massacre) d'Annual, il est loin du champ d'operations et ne fera que constater apres coup l'etendue du desastre. Il en sera bouleverse et en gardera toute sa vie des reminiscences perturbantes: il vomira a chaque occasion de pression, de danger.

Il sera ensuite affilie a l'intendance, a Tetouan et Ceuta.



Barea decrit assez succintement les horreurs de la guerre. C'est loin de la cruelle et atroce relation qu'en avait fait Ramon Sender dans Iman (L'aimant, dans la traduction francaise). Par contre, il dresse un requisitoire ahurissant sur la corruption qui gangrene tous les echelons de l'armee, depuis les commandants qui detournent des chargements de vetements et de victuailles, affamant ainsi les conscrits, jusqu'aux simples soldats qui, par frustration ou abetissement, vendent leurs munitions aux rifains, ceux-la memes qui leur tireront dessus le lendemain.

Pour Barea, l'occupation du Maroc n'a fait qu'empoisonner, pervertir, la societe espagnole. Il ecrit: "Durant les premiers vingt-cinq ans de ce siecle le Maroc ne fut qu'un champ de bataille, un bordel et une taverne immenses". Et quant a la "mission civilisatrice" envers les marocains, il fera dire a un de ses camarades: "Les civiliser, nous? Nous, ceux de Castille, d'Andalousie, des montagnes de Gerone, qui ne savons ni lire ni ecrire? Betises. Qui nous civilise, nous? Nos villages n'ont pas d'ecole, nos maisons sont en torchis, nous dormons dans nos vetements, a cote des mules, pour nous tenir au chaud. [...] Nous crevons de faim et de misere, le maitre nous vole, et si nous nous plaignons la garde civile nous broie de coups...". Et Barea de compatir avec ces conscrits, ces "borregos", ces moutons menes a l'abattoir, qui acceptent leur condition avec "un fatalisme racial face a l'irremediable. Qu'il soit ce que Dieu veut, disent-ils. Et ceci n'est pas de la resignation chretienne, mais un blaspheme subconscient".

Pour Barea l'occupation du Maroc ne profite qu'au roi, un roi detraque, a des generaux ambitieux et a une poignee de grands industriels. Et deux peuples, l'espagnol et le marocain, sont sacrifies.



De la deuxieme partie du livre, qui m'a moins interesse, je retiens surtout les conversations que rapporte l'auteur. Avec des bourgeois dont il gere les affaires (il finit par diriger une agence de brevets) et surtout avec des ouvriers et des militants syndicalistes dont il se sent proche. Des conversations qui expriment le clivage qui murit, le fosse qui s'amplifie entre les differentes classes sociales. Ceux qui n'avaient jamais ose parler se mettant tout d'un coup a crier, la reaction sera recourir a la force, sinon plus violemment du moins plus crument qu'auparavant.

La posture de Barea est singuliere. Il s'est embourgeoise exterieurement, mais jamais mentalement. Meme en tant que directeur d'entreprise, il tient a garder sa carte de l'UGT, le syndicat ouvrier. Peut-etre parce qu'il ne peut oublier les difficultes qu'a connues sa mere, la lavandiere du Manzanares. C'est d'ailleurs a elle (aussi) qu'il a dedie son livre: "A dos mujeres: la senora Leonor (mi madre) e Ilsa (mi mujer)". A deux femmes: madame Leonor (ma mere) et Ilsa (ma femme). Madame. Senora. Un titre que surement personne ne lui avait donne en vie. Il le lui donne, apres sa mort, comme un ultime hommage, comme un ultime merci. Il restera toujours dans son camp a elle. Plus que son propre camp ce sera le camp des siens. Il ne pourra les trahir.



La Route est un temoignage remarquable. Important. Et malgre une ecriture un peu crue, pas trop soignee par endroits, un grand livre. Oui. Assurement un grand livre.







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La forge

Ils sont trois.

Les trois grands romanciers de l'exil espagnol.

Ramon Sender (avec sa trilogie Cronica del alba, son effarant Iman, et son oeuvre la plus connue en France, Requiem pour un paysan espagnol), Max Aub (avec son ardu mais somptueux Labyrinthe magique. Qui redonnera une place dans Babelio a cette saga? Il est des moments ou des regrets me rongent...), et Arturo Barea (avec sa trilogie La forja de un rebelde = La forge d'un rebelle, dont a ma connaissance seulement les deux premiers tomes ont ete traduits en francais, publies par Gallimard en 1948).



La forja de un rebelde est une trilogie mythique en Espagne. Ecrite en Angleterre, elle a ete publiee d'abord en anglais, entre 1941 et 1946, dans la traduction de la compagne de l'auteur, Ilsa Barea-Kulcsar. Interdite en Espagne, une premiere publication en Argentine en 1951 la fera circuler sous le manteau. Ce n'est qu'a la mort de Franco qu'elle sera revelee a un large public: les editions Turner en 1977 (j'avais achete a l'epoque le deuxieme tome, La ruta, parce que je n'avais pas assez d'argent pour toute la trilogie et que je m'interessais particulierement a la guerre du Rif. C'etait a la librairie de l'editeur, au coin des rues Genova et Almagro, pas loin de la Bibliotheque Nationale Espagnole, ou je passais mes apres-midis), puis Plaza&Janes, Mondadori, RBA, Catedra, Debolsillo, et j'en passe. Tout le monde veut etre associe au nom de Barea.



C'est en fait une sorte d'autobiographie romancee a travers laquelle Barea veut nous faire sentir le climat social de l'Espagne qui a mene a la guerre civile, comment il a vecu celle-ci, et enfin ses impressions, ses vues sur les differentes parties belligerantes.

Par crainte de longueurs exagerees (deja comme ca...) j'ai prefere parler de chaque tome separement.



La Forge est un roman de formation. C'est l'enfance et la jeunesse de l'auteur. Son pere mort tres tot et sa mere, lavandiere dans la riviere Manzanares, ne pouvant subvenir aux besoins de tous ses enfants, il est recueilli par un oncle fortune. Grace a cet oncle il recoit une bonne education dans une ecole de moines et reve de devenir ingenieur et de delivrer sa mere d'un travail harassant. Mais l'oncle aussi meurt et il doit a 13 ans quitter l'ecole. Il sera apprenti vendeur dans une boutique, puis sera accepte dans une banque, ou il devra faire une annee d'essai non payee, pour etre en fin embauche avec un salaire de misere. La banque (c'etait le Credit Lyonnais, camoufle en Credit Etranger dans le livre) voulant dicter les comportements de ses employes hors de l'enceinte du travail, surveillant de pres leurs convictions politiques et sociales, leur foi et leur assiduite a l'eglise, le jeune Arturo se revolte et demissionne, quitte a passer une longue periode de penurie sinon de faim. Il trouvera apres un temps du travail dans un bureau de brevets industriels.



J'ai aime ses descriptions de lieux, qui les font surgir tres graphiquement devant nos yeux tout en creusant jusqu'au plus profond des identites de leurs habitants. Des diverses identites collectives de leurs habitants. Au debut du 20e siecle elles sont deja antagonistes, ou du moins pretes a le devenir. Aux villages de ses grands parents, Brunete, Navalcarnero, dans la Castille profonde. Dans le quartier populaire de Lavapies a Madrid. Dans celui du palais royal avec ses cafes d'artistes, son theatre, et ses mendiants assaillant avec effronterie et gouaille les spectateurs a la sortie. Au quartier des affaires, le long de la Gran Via et de la rue d'Alcala, plein de petits employes, au col blanc empese, essayant de se faire payer a boire par des ouvriers gagnant autant ou plus qu'eux.

Madrid a eu de nombreux ecrivains, mais ils sont beaucoup moins nombreux ceux qui, comme Barea, ont reussi a l'exhiber dans toute sa diversite.



J'ai aime le regard de Barea. Pour son entourage ouvrier, la societe espagnole est divisee en bons et en mauvais. Barea note cela, mais chez lui c'est plus ambigu, beaucoup moins categorique. Il ne cachera pas ce qu'il pense des pretres formates pour soutirer des sous a leurs ouailles, ni des moines enseignants qui cachent une libido exacerbee sous une severite de facade, mais il saura aussi encenser la droiture de son directeur d'ecole et le modele moral qu'aura ete pour lui le moine Joaquin, un de ses maitres, celui qui lui donna a lire une vie de Saint Francois d'Assise en lui disant: "Tiens. Lis ca. Et crois en ce que tu voudras. Meme si tu ne crois pas en Dieu, si tu es bon c'est comme si tu croyais".

Le regard de Barea est en meme temps le regard d'un gosse sur la societe ou il grandit et sur les difficultes de la vie, et le regard que pose un ecrivain sur l'enfant et le jeune homme qu'il a ete.



J'ai aime l'empathie avec laquelle il raconte la vie des petites gens qui entourent sa famille, leurs deboires, leurs moments d'abattement, d'angoisse devant le futur, mais aussi leur solidarite primaire. Tous, les craneurs, les defaitistes, les mefiants, tous savent que l'entraide les aide a vivre.



Et j'ai aime sa plume. J'ai ri avec elle par endroits, j'ai pleure avec elle en d'autres. Une ecriture qui m'a fascine, un texte qui m'a force plusieurs fois a freiner ma lecture, pour pouvoir le digerer. Mais comme j'ai lu le livre en v.o., je ne saurais dire un traitre mot de la traduction.

Et j'espere que le livre n'est pas introuvable en francais, que de vieilles bibliotheques gardent un exemplaire, meme empoussiere. J'essaye de pousser a le chercher...

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La forge

Le premier volet d'une trilogie : la formation d'un homme de condition modeste que le spectacle de l'injustice mène à la rébellion......
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