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Citation de PATissot


Hirszfeld est une des meilleures sources d'informations que nous ayons sur les chrétiens du ghetto et sur la vie quotidienne de ses habitants en général. Son autobiographie, [Histoire d'une vie], est le plus important document d'un chrétien sur les chrétiens du ghetto et sur l'église de Tous-les-Saints. À la différence du journal de Ringelblum, l'Histoire de Hirszfeld est une autobiographie achevée, rédigée en 1943 et 1944 alors qu'il vivait dans la clandestinité.
Il commence par raconter ses années d'étude, la découverte de son amour de la science, sa vie à Heidelberg et à Zurich quand il était jeune assistant. Puis la période qui fit beaucoup pour sa réputation, lorsqu'il participa pendant la Première Guerre mondiale à la campagne contre le typhus, d'abord dans l'armée serbe puis dans l'Armée d'Orient alliée basée à Salonique. Il était accompagné de sa femme, Hanna Kasman, médecin et chercheuse. Comme je l'ai déjà dit, leur fille unique, la belle Marysia, mourut de tuberculose après leur évasion du ghetto. Hirszfeld parle de ses recherches, de sa présence à de nombteux congrès internationaux et de sa carrière universitaire en Pologne de 1920 à 1939.
Tout cela se termina en septembre 1939 quand l'armée allemande entra dans Varsovie vaincue. Hirszfeld cite des revues scientifiques allemandes qui font l'éloge de ses travaux pour ajouter avec tristesse : " Dix ans plus tard, les Allemands me chassèrent de l'Institut parce que j'appartenais à la " race parasite " (153).
Il consacre neuf chapitres à sa vie dans le ghetto. Puisqu'il habitait dans le presbytère de Tous-les-Saints, ses observations et ses impressions sont capitales pour notre sujet. Mais même s'il n'avait rien dit de cette église et de ses paroissiens, ses souvenirs seraient un document important pour l'histoire du ghetto de Varsovie en général. Comme il était le chef du service antityphus, il était mieux placé que personne pour connaître l'état affreux des conditions sanitaires du ghetto. Cruellement déçu et choqué par la manière dont les Allemands traitaient les " Ronikiers ", qui ne se considéraient pas comme juifs, il était convaincus dès son arrivée au ghetto des intentions meurtrières des nazis, et au moment où il écrivait, il savait tout de l'ampleur de l'Aktion et de la destruction totale du ghetto. Son premier chapitre sur le sujet s'intitule " La cité de la mort " (" Misatro smierci ") et commence par ces lignes . " Un jour, les Turcs décidèrent de se débarrasser de tous les chiens d'Istanbul. Leurs coutumes leurs interdisaient de tuer des animaux. Ils transportèrent donc les chiens dans une île inhabitée où ils pourraient se dévorer les uns les autres. Cette façon de se débarrasser des chiens fut considérée comme cruelle et indigne [d'êtres humains]. Mais c'était autrefois. Aujourd'hui les Allemands ont décidé de détruire les Juifs. Ils devaient mourir de faim, de poux et de saleté, ou, comme les chiens d'Istanbul, en se dévorant les uns les autres " (277).
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En août 1940, alors qu'ils vivaient encore hors du quartier juif, les Hirszfeld décidèrent d'émigrer en Yougoslavie. L'agent du consulat yougoslave se montra très amical et assura Hirszfeld qu'en raison des services rendus pendant la Première Guerre mondiale, il serait le bienvenu dans ce pays. Il était vraiment possible d'y partir avant l'invasion allemande du pays le 27 mars 1941. Il était aussi possible de rejoindre les États-Unis avant que Hitler leur déclare la guerre, le 9 décembre 1941. Après cette date - sauf moyennant forte rançon - les seules personnes qui avaient une chance de quitter une Europe sous contrôle allemand étaient celles qui, comme Mary Berg, avaient la nationalité américaine ou celle d'un pays allié, et pouvaient être échangées contre des prisonniers allemands. Dès que les amis yougoslaves de Hirszfeld apprirent sa difficile situation, ils persuadèrent le roi de signer une déclaration de naturalisation honoraire en sa faveur et en celle de sa famille. Le RGO s'empressa alors de prolonger son statut de " Ronikier ". Hirszfeld en vint plus tard à penser que ce statut était un piège et que la direction du RGO avait donné, sans s'en rendre compte peut-être, la liste de ceux qui avaient reçu la dispense aux Allemands. On sait aujourd'hui que cette liste fut, selon toute probabilité, livrée à la Gestapo par un délateur qui travaillait au bureau du RGO (voir chapitre III, n. 2) Les Hirszfeld furent autorisés à vivre chez eux, hors du ghetto, dans l'attente d'un visa de sortie allemand. Mais en février 1941, c'est à dire avant même que la guerre germano-yougoslave éclate, il apprit que le visa était refusé et qu'il devait imtégrer le ghetto.
Il dut laisser derrière lui tout ce qu'il possédait, et les policiers allemands de l'entrée du ghetto volèrent la plus grande partie du peu d'effets personnels qu'il avait pu emporter. En voyant un de ses livres en allemand, un policier lui demanda qui en était l'auteur ; " C'est moi, répondit-il, quand je travaillais dans une institution allemande. " À quoi le policier rétorqua " Jetzt bist du nur ein Jud (mais maintenant tu n'es plus qu'un Juif (275) ".
Ce nouveau milieu lui causa un choc profond. Il l'exprime dans son chapitre " la cité de la mort " : " Je fais maintenant partie de cette foule de malheureux, et ma femme et ma fille aussi. Il n'y a pas si longtemps, nous nous promenions dans le parc de l'Institut Pasteur à Garches, et nous nous sommes reposés sur le banc où s'asseyait Pasteur. Je pensais alors avec fierté que, grâce à mes travaux, j'avais ouvert le chemin à ma fille et lui avais permis d'atteindre au plus haut niveau scientifique possible [Marysia avait commencé ses études de médecine en France, en 1938]. Et au lieu de cela, j'ai conduit cette enfant place Grzybowski. Pauvre enfant ! Je l'ai élevée dans la tradition polonaise, je lui ai appris à aimer ce pays. Et aujourd'hui un étranger nous a chassés de chez nous et nous a ôté le droit de fouler le sol polonais. Et ma fille ne comprend ni où elle est ni ce que ce nouveau monde exige d'elle " (287).
Une fois le premier choc passé, Hirszfeld comprit qu'il avait le devoir d'aider les résidents du ghetto, tout en étant bien conscient de la difficulté de la tâche. Il décrit ce qu'il ressent en termes nettement religieux : " Je ne connaissais pas les Juifs, et je n'étais pas sûr de pouvoir toucher leur coeur. Mais après tout, j'avais bien pu toucher l'âme serbe. Ce qui concerne l'âme est sans nul doute éternel. Pour ce qui est de la psychologie des races, laissons ces bêtises aux Allemands. Grâce à une religion d'amour, on peut toucher le coeur de ceux qui sont dans le malheur. Si on devait proclamer aujourd'hui un nouveau slogan, " Misérables de la terre, unissez-vous ", les Juifs seraient les plus nombreux à être concernés " (289). Hirszfeld considérait qu'une formation scientifique était la plus haute forme d'éducation religieuse ; il conclut donc : " [mes étudiants] se considéraient comme des parias. Quand je fis leur connaissance, je compris qu'ils avaient besoin qu'on s'occupe d'eux comme un prêtre " (289). Il croyait aussi que son autorité scientifique personnelle influencerait l'occupant, dont la campagne antityphique " était pire que l'épidémie elle-même " (289).
Il prit donc la décision suivante : " Si je peux partir à l'étranger, je le ferai. Là-bas, mon combat se déploiera sur un plan plus vaste. Si je ne le peux pas, je ne quitterai pas le ghetto, je ne vivrai pas dans la clandestinité. Je ne veux pas que les générations futures et ma propre conscience me disent : " Le destin t'a placé au milieu de centaines de miliers de malheureux, qu'as-tu fait pour eux ? Il t'a donné une clé capable d'ouvrir les jeunes coeurs. As-tu essayé de t'en servir ? " (290).
Il décida donc de rester, bien que ses amis du côté " aryen " lui aient fait parvenir de " bons " papiers d'identité pour lui et sa famille, en les pressant de se mettre à l'abri. " Je suis resté en dépit du fait que je n'avais rien, ni influence, ni moyens, ni laboratoire. J'étais un étranger pour ces gens. En tant que chrétien, la foule me rejetait. Mais j'éprouvais une immense compassion, c'était mon seul capital, ma seule arme " (290). Il dut ensuite décider du sort de sa famille. " Je dis à ma femme : " Il faut que je reste, mais tu devrais emmener notre fille et quitter l'enfer avec elle. À la campagne, sa santé pourrait s'améliorer. " Je vis l'instinct maternel et l'amour conjugal lutter en elle, et ce fut le dernier qui l'emporta. Nous nous tournâmes vers notre fille : " Ma chérie, nous avons des amis qui veulent te sauver. Et ce serait plus facile pour nous si tu étais de " l'autre côté ". Mais notre fille avait de qui tenir [. . .] : " Je veux être là où vous êtes. " Et c'est ainsi que nous sommes restés tous les trois en enfer. " (290)
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