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Citation de Partemps


Donc, sortir de ces sentiers battus, oser ce que nul n’a osé — du moins de manière continuelle et délibérée —, s’affranchir des conventions, retrouver la liberté des vieux maîtres de la Renaissance, remonter même jusqu’à l'organum et la diaphonie, oser les suites de quintes et résoudre les accords dissonants, tirer parti des fausses relations au lieu de les craindre comme autrefois on redoutait le triton, imaginer des agrégations jusqu’alors inouïes, employer la gamme par tons entiers, voilà les « audaces » du debussysme. Mais rien de moins anarchique que ces libertés nouvelles, rien de plus discipliné que ces révoltes contre les règles et l’usage, contre la grammaire officielle. Au fait, ce n’est pas une langue nouvelle, mais un style — son style —- que le jeune artiste entend forger. Et quand il abordera le théâtre avec Pelléas et Mélisande, il rompra de même les vieilles conventions : « Je rêve de poèmes qui ne me condamnent pas à perpétrer des actes longs, pesants, qui me fournissent des scènes mobiles, diverses par les lieux et le caractère, où les personnages ne discutent pas, mais subissent la vie et le sort », disait-il à Guiraud bien avant d’avoir choisi le drame de Maeterlinck. Et il ajoutait : « Je ne suis pas tenté d’imiter ce que j’admire dans Wagner. Je conçois une forme dramatique autre. La musique y commence là où la parole est impuissante à exprimer ; la musique est faite pour l’inexprimable ; je voudrais qu’elle eût l’air de sortir de l’ombre et que, par instants, elle y rentrât; que toujours elle fût discrète personne. »

— Quel poète pourra vous fournir un « poème » ? demandait Guiraud.

— Celui qui, disant les choses à demi, me permettra de greffer mon rêve sur le sien ; qui concevra des personnages dont l’histoire et la demeure ne seront d’aucun temps, d’aucun lieu, qui ne m’imposera pas, despotiquement, la scène à faire, et me laissera libre, ici ou là, d’avoir plus d’art que lui, et de parachever son ouvrage... »

On voit par cette citation comme le debussysme tient étroitement au symbolisme littéraire, par le fond même de l’esthétique ; on a vu déjà comme il tient à l’impressionnisme, au divisionnisme des peintres par les procédés mis en œuvre, par la technique.

Et en cela, le debussysme est bien la musique d’une époque, il est partie d’un tout, d’un mouvement qui embrasse l’ensemble des ouvrages de l’esprit, il n’est point au milieu d’eux une dissonance. Mais si quelques contemporains timides purent douter qu’il survécût à ce temps, s’ils se trompèrent au point de ne voir dans ces « nouveautés » qu’une recherche complaisante de l'effet, qu’un désir « d’épater le bourgeois » (grief déjà fait à Berlioz et à Wagner), qui donc aujourd’hui n’aperçoit l’importance de la « révolution debussyste » dans l’histoire de la musique française? Dans une lettre à Pierre Louys, en février 1895, Debussy prophétisait : « Je travaille à des choses qui ne seront comprises que par les petits enfants du vingtième siècle. Eux seuls verront que « l’habit ne fait pas « le musicien ». Ils arracheront les voiles des idoles sous lesquels il n’y avait qu’un triste squelette... Je salue avec joie ton entrée dans la musique... » Il n’eut pas à attendre si longtemps qu’on lui rendît justice. Lorsqu’il mourut si prématurément en 1918, tout le monde — ou presque — partageait l’avis de Gaston Garraud, qui écrivait : « Il a renversé la notion même de l’art musical, bouleversé ses voies, ouvert un horizon peut- être illimité de trouvailles, renouvelant du même coup tout le matériel de l’expression musicale... Le debussysme, ajoutait-il, tout en ne convenant qu’à un petit nombre, reste un fait capital, qui sépare la musique du xxe siècle de celle du xixe. L’art, après lui, même s’il s’écarte de lui, ne saurait être ce qu’il était avant lui. »

De combien d’artistes, même de ceux qui, comme Wagner, ont dominé leur époque, en pourrait-on dire autant ?

Ses contemporains n’ont pas vu sa grandeur. Ils ont une excuse, et M. André Suarès a plus tard résumé dans une phrase cette position de Debussy que son originalité cachait à ses contemporains : « Par un prodige singulier, que ce soit un drame ou une petite pièce pour le clavier, toute œuvre de notre Debussy est un monde achevé, d’une perfection presque unique. Le calcul de l’art se laisse oublier. Cette musique paraît soudain une révélation de la nature. »


Il signa sa lettre de candidature à l’Institut le 17 mars 1918 : il mourut le 26, au moment où les Allemands, livrant leur dernière et furieuse attaque, bombardaient Paris.
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