AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Partemps


Il était d’ailleurs fatal — et salutaire — que la réaction « antidebussyste » se produisît, comme il était salutaire que Debussy lui-même réagît contre le wagnérisme. L’art ne saurait s’embarrasser de formules éternelles. La guerre, ou plutôt l’après-guerre, hâta les choses. Dans le désarroi qui suivit, une jeune école imposa fort habilement ses ouvrages. Elle opposait à la « suavité » debussyste un idéal orienté vers les recherches dynamiques et la simplicité de la construction. Le piquant fut que ces « jeunes » se réclamassent d’un des plus vieux amis de Debussy, l’humoriste Erik Satie qui, précisément, laissait croire qu’il avait lui-même inventé l’essentiel du debussysme. Mais en dix ans, tout s’est remis en place. L’influence debussyste n’est, souvent, que trop manifeste sur les œuvres des débutants — preuve qu’elle exerce toujours une séduction profonde non seulement sur le public, mais encore sur les jeunes musiciens9. Et il n’est plus personne aujourd’hui, même parmi les retardataires les plus obstinés, qui pourrait lire sans hausser les épaules le jugement porté sur Debussy au lendemain de sa mort par son ancien camarade Camille Bellaigue, qui écrivit dans la Revue des Deux Mondes : « Debussy buvait dans son verre, lequel n’était pas grand, mais d’un mince cristal »... Il tenta de « transformer la musique en une chose légère et presque silencieuse »...

Sa grâce fluide — et même cette immatérialité quasi impondérable de son art — apparaissent maintenant comme des conquêtes étonnantes. Le chant de flûte du Faune et les jeux des Nuages changeant de forme au firmament, le dialogue de la Mer et du Vent, la lettre de Golaud et la Mort de Mélisande, les chœurs célestes du Martyre, les « dissonances sans crudité, et plus harmonieuses en leur complication que les consonances même» du Quatuor10, les fines arabesques des Estampes, l’ironie délicieuse des Études, quel musicien de génie a jamais inventé trouvailles plus variées, plus originales, plus personnelles ?

Non seulement au théâtre et au concert les œuvres de Debussy maintiennent sa gloire au plus haut rang, mais encore la radiodiffusion aussi bien que les enre­gistrements phonographiques ont élargi l’audience. Il a pu sembler, au moment où ces ouvrages furent révélés, que la plupart d’entre eux, par la finesse même de leur art, ne pourraient connaître qu’un succès restreint et que le grand public ne se passionnerait jamais pour eux. Et cependant les faits ont démenti cette prévision. Il est peu croyable que l’éducation mu­sicale de la foule se soit à ce point développée que le public puisse s’enthousiasmer aujourd’hui pour ce qu’il ne pouvait comprendre il y a trente ans. Il est certain que ces œuvres géniales, leur originalité si vive, leur nouveauté si personnelle, a caché pour leurs contemporains ce qu’elles contenaient de simple beauté, d’hu­manité profonde et éternelle. On a vu jeux de dilettante et caprice d’esthète où il y avait sous un brillant vernis de la grandeur vraie. L’habileté du musicien prompt à fixer l’insaisissable a donné le change, et quelques-uns n’ont alors voulu reconnaître en lui qu’un « petit maître », quand l’immédiate postérité lui rend déjà pleine justice.
Commenter  J’apprécie          10









{* *}