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Citation de Partemps


Revue des Deux mondes
Je devais commencer par cette profession de foi, car le principal objet du voyage qu’on va lire a été d’aller appliquer la méthode, et, s’il se pouvait, étendre la découverte de Champollion, d’aller étudier les principaux monumens de l’Égypte et de la Nubie à la lueur de ce flambeau éteint depuis quinze siècles qu’il a rallumé pour le monde. Avant lui, il était souvent impossible de connaître l’âge et la destination des monumens, les savans les plus respectables s’y trompaient. Si on n’accordait qu’une médiocre antiquité aux monumens élevés par Sésostris ou ses prédécesseurs, on reportait à l’époque la plus reculée le portique du temple de Dendéra, bâti sous Tibère ; c’est qu’on n’avait pas lu sur les premiers les noms des anciens Pharaons, sur le second les noms des empereurs. Les peintures et les bas-reliefs étaient mal interprétés, faute d’entendre l’inscription hiéroglyphique, souvent très claire, qui les explique : on prenait un triomphe pour un sacrifice, un dieu pour un prêtre, le Pyrée pour un homme ; mais, grace à la lecture des hiéroglyphes, si incomplète qu’elle soit encore, on sait quel est l’âge historique des monumens, à quelle divinité ils sont consacrés, de quel roi ils ont reçu les restes, car les monumens de l’Égypte sont à la fois des tableaux et des manuscrits ; ce sont des tableaux avec une légende qui énonce le sujet comme dans les peintures du moyen-âge, ce sont des manuscrits éclaircis par des figures comme les livres illustrés de nos jours. Avec ce double secours, jamais de doute possible sur la destination d’un monument. On peut dès aujourd’hui lire sans nulle chance d’erreur les noms des dieux et même les formules dédicatoires de leurs temples, les noms des rois, ceux des particuliers, les termes qui expriment les professions, les degrés de parenté ; on sait donc toujours à quelle divinité appartient le temple dans lequel on se trouve, quel roi l’a fait construire, souvent même en quelle année de son règne il a été élevé. Quand un édifice renferme des parties d’origine diverse, on sait à quelle époque elles se rapportent, quel souverain a construit ou réparé chacune d’elles. Tout cela est indiqué avec une clarté parfaite par des formules bien connues et faciles à comprendre ; si on pénètre dans les tombeaux des rois, des reines, des princes, des prêtres, des juges, des grands dignitaires du palais ou des chefs de l’armée, on sait toujours quels furent le nom et le rang du mort auquel on rend visite. Le défunt est représenté entouré de sa famille, qui lui offre ses hommages ; les noms, les professions, les rapports de parenté de tous les membres, souvent très nombreux, de cette famille, sont écrits à côté de chaque personnage ; les scènes de la vie ordinaire sont peintes ou sculptées sur les murs de ces innombrables demeures funèbres ; étude, gymnastique, fêtes, banquets, guerres, sacrifices, mort, funérailles, sont retracés fidèlement dans ces tableaux de mœurs, qui sont quelquefois des tableaux épiques. Toutes les conditions, tous les arts, tous les métiers, figurent dans cette vaste encyclopédie pittoresque, depuis le roi, le prêtre, le guerrier, jusqu’à l’agriculteur et à l’artisan. On voit dans l’exercice de leur art le peintre, le sculpteur, le musicien, le danseur, et dans l’exercice de leur industrie le tisserand, le cordonnier, le verrier ; on voit des vétérinaires soignant des bestiaux, des manœuvres traînant un colosse, des esclaves pétrissant la brique ainsi que les Israélites. Ces galeries funèbres de peinture sont en même temps des musées d’antiquités. Tous les ustensiles, les instrumens, les petits meubles relatifs aux diverses professions, aux divers besoins de la vie, existent en nature dans ce Pompeï colossal. Les bijoux, les parures, l’écritoire, la coudée, l’encensoir, jusqu’à des jouets d’enfant et des poupées, se trouvent dans les tombeaux comme pour éclairer l’étude par la comparaison des objets avec leur image ; le mort lui-même est peint sur les parois funèbres, sa statue assise dans une niche, et son portrait reproduit par de nombreuses figurines ; il y a plus, l’hôte de ces demeures sépulcrales, si l’avidité des marchands de cadavres ne l’a pas arraché à son repos séculaire, est là pour vous recevoir, conservé par un art savant avec ses cheveux, ses dents, ses ongles, sa chair ; tout est vivant, même la mort.

Vous avez vu se dérouler l’existence égyptienne tout entière. Maintenant dans les tombes, surtout dans les tombes royales, sur les parois des sarcophages, sur les caisses des momies, sur les papyrus ensevelis avec elles, une autre série de peintures plus considérables, plus variées, d’une variété, d’une richesse infinie, vont vous offrir l’histoire de l’ame après la mort, les épreuves qu’elle traverse, les jugemens qu’elle subit, toutes les aventures enfin de cette pérégrination à travers des régions inconnues, à travers les étangs de feu et les champs destinés aux ames heureuses, au milieu d’une foule innombrable de génies et de divinités funèbres. Ainsi la vie présente et la vie à venir, notre monde et l’autre, tout ce que les Égyptiens connaissaient de celui-ci et imaginaient de celui-là a été représenté mille fois par eux, et ces représentations subsistent. L’ancienne Égypte peut donc se retrouver dans ses ruines, nous parlant un double langage, complétant les représentations figurées par les inscriptions hiéroglyphiques, expliquant les inscriptions par le spectacle des objets qu’elles accompagnent, des scènes qu’elles traduisent. Lors même qu’on ne lit pas ces inscriptions, on sait en général à quoi se rapporte ce qu’on ne peut pas lire, on sait si ce qu’on a devant les yeux est une prière ou une dédicace, ou une commémoration historique ; on sait, de plus, à quel dieu s’adresse cette prière, quel roi a fait cette dédicace, de quel événement cette légende a conservé la mémoire. Enfin, si l’on ne sait pas tout ce que disent les hiéroglyphes, on sait, et c’est beaucoup, ce qu’ils ne disent pas. On ne leur demande plus les secrets merveilleux, les connaissances supérieures dont on croyait depuis deux mille ans qu’ils renfermaient le mystère ; il faut renoncer à y lire les oracles d’Hermès, comme le père Kircher, ou, comme on l’a fait de nos jours, les psaumes de David. Il n’y a, à vrai dire, que des inscriptions sur les monumens de l’Égypte : les unes religieuses, les autres historiques, les autres domestiques et privées ; mais ces inscriptions sont sans nombre, et quelques-unes, grace à leur étendue, peuvent passer pour des livres de religion ou des chapitres d’histoire. Nul n’ignore combien ont fourni de renseignemens précieux sur l’antiquité les inscriptions grecques et latines en général si courtes, et dont les sujets ne dépassent pas un cercle assez restreint ; que ne doit-on pas attendre de cette épigraphie colossale dont les pages et les volumes se déroulent sur les murs des palais et des temples, dans des proportions que sont loin d’atteindre les inscriptions tracées sur les murailles de Ninive ou les rochers de Bisitoun ? Les lacunes que présente l’explication, encore incomplète, des hiéroglyphes correspondent aux lacunes qu’offrent les textes mutilés des inscriptions grecques et latines. On peut deviner ce qui reste obscur dans les premières au moyen de ce qui est déjà compris, comme on restitue dans les secondes, avec le secours des lettres et des mots qui restent, les lettres et les mots effacés, et il y a entre les inscriptions hiéroglyphiques et les inscriptions grecques et latines cette différence à l’avantage des premières, que les lacunes qu’elles présentent peuvent être comblées avec le temps par les progrès de la science. Laissant de côté tous les textes dont le sens est douteux, et s’attachant à ceux dont le sens est certainement connu, on peut, en les rapprochant, en les comparant, les compléter, les éclairer les uns par les autres, et parvenir à en tirer quelques enseignemens sur le peuple extraordinaire qui a tracé ces lignes si long-temps muettes. En un mot, on peut dès aujourd’hui appliquer l’étude des hiéroglyphes à deux objets : à l’histoire des événemens et à l’histoire des idées, des mœurs de la société égyptienne.
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