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Citation de coco4649


La brigade des jeux [2]

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Je l’attends ! Viendra-t-elle ? Depuis bientôt un an je passe sous ses fenêtres chaque nuit. Quand elle est en voyage, le lieu de sa résidence dessine sans cesse devant mes yeux clos les allées rêveuses où j’imagine sa promenade, les salles de baccara brillantes comme des lustres de cristal, les chambres d’hôtel si émouvantes avec leur fenêtre révélatrice, au premier matin, d’un nouveau panorama. L’amour qui me transporte prendra-t-il bientôt le nom de cette femme ?

Cependant, le navire, ballotté par les hautes vagues, ne tarda pas à se trouver en danger. Pour comble d’infortune, le feu se déclara dans les soutes. Une épaisse fumée s’éleva du poussier humide, suffocante et chaude. Certains se jetèrent par-dessus les bastingages, d’autres, malgré la témérité d’une pareille aventure, confièrent leur sort à un canot de sauvetage, tout menu dans la mer bouleversée.

Seul, Corsaire Sanglot resta à bord. Le navire s’inclina. Corsaire Sanglot remarqua la lucidité parfaite de son esprit qui lui permettait de noter nombre de faits en apparence insignifiants. Par exemple, le sifflement du vent bientôt transformé en beuglement quand, les cheminées atteignant presque l’horizontale, il s’engouffra d’aplomb jusqu’aux foyers ; le curieux spectacle de la fumée débordant comme un liquide et roulant doucement dans les vallonnements de l’eau les stigmates mobiles de l’huile brillamment colorée à la surface. Puis un bruit de friture s’amplifiant de minute en minute signala l’inondation des machines. Elles explosèrent en trois fois parmi des gerbes écumeuses, des plumeaux de fumée et le mouvement d’un entonnoir naissant. Le bateau se prit à tourner sur lui- même avec une grande rapidité et à s’enfoncer. Des épaves prirent doucement le parti de flotter puis, d’un seul coup, comme happé par une gigantesque bouche, l’épave s’engloutit.

Elle descendit une trentaine de mètres en ralentissant progressivement et s’arrêta, flottant dans une tombe calme. Le tumulte ne parvenait pas jusque-là. Corsaire Sanglot ouvrit les yeux. Un sous-marin voguait avec circonspection à quelque distance. Des poissons charnus virevoltaient. Des algues poussaient jusque là leurs rameaux tentaculaires. Corsaire Sanglot se pencha pour voir le fond. Il lui apparut uniformément jaune bistre avec la consistance du papier buvard ou du sable humide, à une profondeur qu’il estima ne pas dépasser cent mètres.

Malgré la pénombre de ces profondeurs, l’ombre projetée des poissons se mouvait distinctement sur le fond. Corsaire Sanglot s’apprêta à descendre. Ce n’était pas chose aisée en raison d’une illusion d’optique qui faisait que son image reflétée dans l’élément liquide s’interposait constamment entre lui et son but. Mais il ferma les yeux, tendit les mains violemment en avant, ouvrit les yeux et saisit les mains de son reflet. Celui-ci, en s’éloignant, reproduit de couche en couche d’eau, l’entraîna rapidement jusqu’au fond. Il y eut un heurt mou. Corsaire Sanglot était enfoui jusqu’au cou dans un immense champ d’éponges. Elles pouvaient être trois ou quatre cent mille. Des hippocampes troublés dans leur sommeil surgirent de tous côtés en même temps qu’une gigantesque bougie allumée de l’espèce dite marine. À la lueur, les vallonnements tendres des éponges s’éclairèrent à perte de vue. Leurs mamelons prirent un relief extraordinaire et Corsaire Sanglot se fraya parmi eux un chemin difficile. Il atteignit enfin la bougie. Celle-ci surgissait d’une espèce de clairière appelée, un écriteau de corail en faisait foi, « Éclaircie de l’éponge mystique », une troupe d’hippocampes se jouait là, sur un sol fait de petits galets noirs. Douze squelettes de sirènes y reposaient, couchés côte à côte. Devant ce cimetière Corsaire Sanglot éprouva un grand soulagement. Il contemplerait un instant cette place sacrée, puis, dans la prairie des éponges, il irait se coucher pour toujours. Il distinguait des uniformes de marins de nationalités diverses, des squelettes en smokings et en robes de soirée.
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