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Citation de Philippe-rodolphe


L’histoire de Robert cessa d’intéresser quiconque. Il perdit son emploi. Il perdit ses amis. Il se mit à boire pour se rappeler, pas pour oublier. Et il se mit à pleuvoir dans son cœur pour le restant de ses jours.

Ainsi, en bref, un mélange complexe d’histoire, de politique, de circonstances et de trajets aboutit à la détonation d’une bombe de cinquante kilos dans l’espace restreint et donnant sur la rue d’une petite boutique de sandwiches mesurant sept mètres sur quatre. Cet espace confiné et la puissance du dispositif créèrent une explosion d’une telle ampleur qu’une grande partie du premier étage du bâtiment s’effondra en se déversant dans la rue. Il y avait quatorze personnes dans la boutique de sandwiches. Il y avait cinq personnes dans le salon de beauté situé à l’étage lorsqu’il s’écroula, et douze dans la rue au voisinage immédiat des éclats de verre et de métal et du salon de beauté explosé. Trente et une personnes en tout, dont dix-sept cessèrent d’exister sur-le-champ ou plus tard, et don onze furent blessées au point de perdre un membre ou un organe vital. (…) Beaucoup de gens souffrirent de coupures et d’entailles. Beaucoup de gens furent terrorisés. Quelques infirmiers et infirmières improvisés, qui avaient pénétré dans la boutique une fois que la fumée et la poussière se furent dissipées, découvrirent des visions atroces et émétiques qui devaient rester comme une pellicule posée sur tout ce qu’ils verraient ensuite au cours de leur vie.

Dans le silence déchirant, assourdissant, qui suivit l’explosion, s’immisça une chose grotesque ressemblant à la paix. Les morts étaient morts, beaucoup de mourants étaient inconscients ou incapables de parler, la plupart des blessés ou des victimes terrifiées étaient en état de choc ou simplement très très surpris. (…)

[La liste des noms des victimes…] Cette liste est absurde. Cette liste s’oublie facilement.

Identifiés, anonymes. Présents à la mémoire, oubliés. Ils ont tous fait le grand saut, spécialité des morts. Qu’ils aient décédé aussitôt, presque aussitôt ou plus tard, tous on fait le grand saut. Quitter le monde des vivants pour se transformer en cadavre : la transition la plus rapide du monde.

Egrener leur liste est absurde et impossible. Tous avaient leur histoire. Mais ce n’étaient pas des histoires courtes, des nouvelles. Ce n’aurait pas dû être des nouvelles. C’aurait dû être des romans, de profonds, de délicieux romans longs de huit cent pages ou plus. Et pas seulement la vie des victimes, mais toutes ces existences qu’elles côtoyaient, les réseaux d’amitié, d’intimité et de relation qui les liaient à ceux qu’ils aimaient et qui les aimaient, à ceux qu’ils connaissaient et qui les connaissaient. Quelle complexité… Quelle richesse.

Qu’était-il arrivé ? Un événement très simple. Le cours de l’histoire et celui de la politique s’étaient télescopé. Un ou plusieurs individus avaient décidé qu’il fallait réagir. Quelques histoires individuelles avaient été raccourcies. Quelques histoires individuelles avaient pris fin. On avait décidé de trancher dans le vif.

C’avait été facile.

Les pages qui suivent s’allègent de leur perte. Le texte est moins dense, la ville plus petite
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