Un examen plus attentif nous a cependant révélé une différence importante. La morale spinoziste n'est pas une morale du plaisir (brut et spontané) ni une morale de la raison (formelle et universelle). Elle est une morale concrète qui met en place une valeur unificatrice nouvelle, qui est la joie véritable. Celle-ci est à la fois déploiement du Désir, et déploiement de la réflexion, et elle exprime (en même temps qu'elle en résulte) la même unité originale et singulière qui est celle du corps et de l'esprit dans la doctrine de l'homme. Non que l'esprit soit seulement raison et le corps seulement désir, puisque, bien au contraire, désir et raison sont dans l'esprit, parce qu'ils sont aussi dans le corps. La joie est une unité intégrale comme l'être humain lui-même.
On est loin en fait des doctrines hédonistes et des doctrines matérialistes qui rapportent le plaisir au seul corps ; mais l'on est également loin des doctrines mystiques ou rationalistes de la joie, qui ne rapportent celle-ci qu'au seul esprit. (pp. 132-133)