Enfin, je pose les yeux pour la première fois sur la reine. Avant même mon arrivée sur cette île, j’ai porté en moi l’image d’Elisabeth Tudor, la souveraine protestante qui a osé défier trois papes successifs au cours de ses vingt-cinq années de règne. C’est prétentieux et idiot, je le sais, mais j’ai toujours pensé que si j’arrivais à lui faire écouter mes paroles ou lire mes mots, elle ressentirait une sorte d’affinité instinctive avec moi. Comme moi, elle a été excommuniée pour hérésie et déclarée ennemie de l’Église à cause de ses idées, le Saint-Office veut sa mort autant qu’il souhaite la mienne ; en dépit de tous les efforts de ses conseillers les plus raisonnables, tels Walsingham et Burghley, elle encourage des hommes comme John Dee et s’intéresse sincèrement aux sciences occultes. S’il y a un souverain digne d’être le patron d’un philosophe hérétique aux points de vue hétérodoxes et provocants, c’est certainement cette femme à l’esprit ouvert, effrontément intellectuelle, qui, derrière les sourires aimables qu’elle accorde en cet instant à ses serviles courtisans, doit posséder une volonté d’acier pour avoir régné si longtemps sur un monde d’hommes.
Chapitre 7