Et tel le poids de la mer se faisait soudain sentir le poids de la lumière, et la pensée me venait que j'étais bien semblable à un poisson mort. Il y avait toujours quantité de ces poissons qui, tout en étant morts calés au fond de l'eau, regardent le ciel avec des yeux abrutis comme s'ils étaient fermés. Ceux qui n'étaient pas morts depuis longtemps continuaient longtemps, longtemps de flotter emportés par le courant le ventre tourné vers le ciel. Là-dessus, perdant leurs écailles et poussés jusqu'au rivage, ils sont rejetés sur les bancs de sable avant d'y être enterrés. Les rayons du soleil leur donnent froid et ils scintillent pataudement ; c'est qu'ils sont en train de pourrir du fait de l'humidité des bancs de sable. Mais alors revient la marée, qui commence à tremper les bancs de sable, et si elle les recouvre, les poissons morts se remettent à flotter. Alors, leur flanc brûlé par le soleil, ils reposent sur le côté. Et à supposer qu'aucun oiseau marin ni aucun vairon ne s'attaque à ce corps, pendant que se répètent ce flottage et ce naufrage, le corps de ce poisson bourgeonne comme de la ouate et arrivé à ce stade le corps trempé s'alourdit et vient se déposer au fond de l'eau. De la sorte s'achève la mort par noyade. À présent je me sens seul.
Et puis la mort doit aussi tenir dans le fait que notre corps se retrouve allongé et sombre dans un profond sommeil dont on ne s'éveille jamais, que nous tombons comme des feuilles à l'automne, cela oui. Notre esprit a beau quitter le corps, il lui faut errer jusqu'à ce qu'il puisse s'infiltrer quelque part ailleurs, c'est encore une fois comme les feuilles mortes de l'automne, oui, cela, oui.
De toutes les manières, il me semblait avoir compris la raison pour laquelle ce doyen souhaitait entendre le sermon d'un moine errant pareil à un orphelin, n'appartenant à aucune secte ni à aucun ordre particulier. Ceci étant, il me semblait que ce qu'il fallait sauver avant tout, ce n'était pas les êtres humains qui ne peuvent vivre ni avec, ni sans les religions, mais les dieux eux-mêmes, car ceux-ci, sans nulle part où poser les pieds, chantent le chant de leur solitude affamée et errent d'un pas chancelant autour des communautés des hommes.
Il y a quatre sortes de naissances : la naissance par l'œuf, la naissance par la matrice ; la naissance miraculeuse ; la naissance par la chaleur et l'humidité. Parmi ces quatre, la naissance par l'œuf et par la matrice sont semblables.
Ainsi il a été dit, tu verras un homme et une femme s'unir. À ce moment, à cause de ton attirance et de ton aversion, tu entreras dans la matrice et deviendras cheval, oiseau, chien ou être humain ou quelque chose de semblable (178-156).
[NdA] Les pages entre parenthèses ... renvoient aux pages du Tibetan Book of the Dead dont sont tirés ces paragraphes. [NdT] Pour notre traduction, nous nous sommes également appuyés sur la version française du Bardo Thödol, Le Livre tibétain des morts, par Valdo Secretan, Éditions Dervy, 1991. Le second numéro de page correspond à cette édition française.
— Mais comment s'est-il fait que ce « fils » se soit retrouvé tout d'un coup en face du déshonneur ? Selon certains sages, ce jour-là de fait, le tout premier homme et la toute première femme voulurent jeter un coup d'œil pour voir quel passé possédaient en fin de compte cet arbre et ce crâne à l'air sournois qu'ils avaient et qu'ils n'avaient pas, et après s'être adonnés à toutes sortes d'actes indécents, leurs yeux se sont soudainement ouverts, et aussitôt la conscience de ce que l'un avait en moins et de ce que l'autre avait en plus a dû provoquer ce sentiment de honte ; voilà jusqu'où sont parvenues leurs conjonctures, mais quoi qu'il en soit, la plus ancienne rumeur selon laquelle seul l'animal qui marche debout cache ses parties génitales s'entend ainsi.
Le corps n'est rien d'autre qu'un assemblage de quatre éléments. Et comme quatre éléments ne sont autre chose que le vide, il n'est pas de douleur que l'on puisse ressentir.
Telle elle était. Une fille au corps splendide qui devait avoir à peine vingt ans ; elle avait dû être un serpent cuivré jeté jadis dans le désert mais qui avait survécu et avait encore mué, se nourrissant de la lumière du soleil et de la lune, croquant comme des œufs les reliques pas encore éclosent des moines rassemblés dans les peines de l'ascèse.
D'après une extraordinaire histoire de procès, n'a-t-on pas dit qu'un ver de terre coureur de jupons tombé raide dingue d'une femelle ver de terre au joli teint, avait perdu la tête tant et si bien que les reproches de sa femme sortirent de l'ordinaire et au bout du compte, putain de bordel, il est allé trouver le juge pour demander le divorce ? Alors avec ce procès, il a coupé son corps en deux avec un couteau, mais je ne sais pas s'il a vécu après cela heureux longtemps, longtemps ou quoi, parce que, eh bien, au moment où j'allais entendre la suite de l'histoire, j'ai été pris de diarrhée, quoi.
Si l'on passe son temps à errer sans domicile fixe, le monde entier semble certes me servir de domicile mais en même temps nulle part dans ce monde n'est mon domicile.
Quand tu es sorti du vagin de ta mère, tu n'es pas sorti en pensant et doté de ce qu'il faut pour manger ou te vêtir, non, en venant au monde tu n'avais rien d'autre que tes larmes.