AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Partemps


L’ERMITAGE DE KANDOU[1],

Poëme extrait et traduit du Brahmâ-Pourâna,

composition sanskrite de la plus haute antiquité ;
Par Mr. de Chézy.
Les Muses grecques veulent bien aujourd’hui faire les honneurs à leurs sœurs des bords du Gange, et suspendre un moment les doctes accords de la lyre, pour faire place aux accens, un peu légers peut-être, du luth indien.

À ce nom de sœurs, à ce lien de parenté dont je reconnais l’existence, entre les Muses de l’Hélicon et celles du mont Mérou, il me semble déjà entendre mille voix s’élever contre une pareille assertion, contre la possibilité d’une semblable alliance ! Long-tems, je l’avouerai, j’ai partagé la même prévention ; mais après le plus mûr examen, après le travail le plus sérieux, je n’ai pu me refuser à considérer comme sorties du même berceau, des sœurs qui, malgré l’espace immense qui les sépare, parlent cependant à peu près la même langue, s’expriment souvent dans les mêmes termes, emploient les mêmes figures, et semblent avoir été inspirées par le même génie.

En effet, il est impossible, pour peu qu’on ait fait quelques progrès dans l’étude de la langue sanskrite, de ne point être frappé des rapports qui existent entre ce riche idiome et les langues grecque et latine ; rapports qui se rencontrent, non pas seulement dans des mots isolés, mais dans la structure la plus intime du langage, qui ne peuvent être l’effet du hasard, et qui supposent nécessairement ou une origine commune entre les peuples qui parlent ces langues, ou au moins de longues communications entre eux.

L’Histoire, il est vrai, ne peut nous fournir encore assez de données pour résoudre ce problème ; mais combien d’autres faits réels enveloppés dans les ténèbres de ces tems, que nous nommons fabuleux et héroïques, sur lesquels son flambeau n’a pu, jusqu’à présent, répandre la lumière !

Si de l’étude de la langue sanskrite, considérée purement en elle-même, étude qui rend presque nuls tous les systèmes étymologiques hasardés jusqu’à nos jours, et qui est absolument indispensable pour diriger, avec quelque certitude, nos recherches dans un labyrinthe où l’on n’a trop souvent rencontré que des monstres ; si de cette étude, dis-je, on passe à celle de la doctrine des Indiens, de leurs usages, de leur croyance, de leurs mythes sacrés ; quels rapprochemens plus curieux encore, ne se présenteront pas aussitôt à notre imagination !

Méditons-nous leurs livres de métaphysique ? nous croyons lire les sublimes traités de Platon. Le dogme de l’immortalité de l’ame n’est point développé par ce sage et par les autres philosophes de la Grèce, avec plus de profondeur et de subtilité tout ensemble, qu’il ne l’est par les brahmanes, dans leurs Oupanichads (textes secrets des Védas), où ces matières sont en général traitées sous forme de dialogues, entre un maître et son disciple, à la manière de Socrate.

Le dogme de l’unité de Dieu, qui a été évidemment reconnu par les vrais sages du paganisme, est également avoué par les philosophes indiens, qui adorent le grand être sous le nom de Brahmâ ; l’accusation de polythéisme dont on les charge, n’étant, selon toute apparence, fondée que sur la personnification qu’ils ont faite des attributs de la divinité, sous les formes de Brahmâ, Vichnou, Siva, pour représenter d’une manière sensible le pouvoir de créer, de conserver, et de détruire.

Le système de Pythagore, dont il ne nous reste que des fragments, se retrouve dans toute son intégrité dans les livres de philosophie indienne, et on y reconnaît de part et d’autre, tant de conformité jusque dans les plus petits détails, qu’il paraît fort probable que le philosophe grec a tiré de ces antiques compositions sa doctrine de la métempsycose ; et ce fait seul, à notre avis, suffirait pour nous faire croire à la réalité de son voyage aux Indes.

Un autre philosophe, que l’on prétend aussi avoir fait le voyage des Indes, à la suite d’Alexandre, Pyrrhon, n’aurait-il pas puisé dans ses relations avec les brahmanes, le germe de son fameux système, qui offre les rapports les plus frappans, avec un système tort répandu aux Indes, d’après lequel tout, excepté Dieu, serait illusion ; et ce qu’il y a de bien remarquable, c’est que ce sceptique marquait, dans toute sa conduite, cette parfaite indifférence, cet abandon absolu des contemplatifs Indiens.

Rempli de l’idée de la fragilité des choses humaines, et de leur peu d’importance, il avait sans cesse à la bouche le vers d’Homère, où ce grand poète compare les générations humaines, aux feuilles desséchées que balaient les vents, de même que les gymnosophistes se complaisent dans leur comparaison favorite de la brièveté de la vie, avec une goutte de rosée qui brille et s’évanouit au même instant, sur la feuille tremblante du lotus.

Il nous serait facile de faire de semblables rapprochemens, en parcourant successivement les différentes branches des connaissances humaines, telles que l’astronomie, les mathématiques, la musique, la poésie, tant épique que dramatique, lyrique et érotique, la législation, la morale ; et de prouver que dans toutes ces connaissances, les Indiens ont peu de chose à envier aux Grecs : mais ce travail exigerait trop de tems, et nous préférons jeter un seul coup-d’œil sur quelques points de la mythologie indienne, dont l’identité avec les fables grecques, frappera aussitôt tous les esprits.

Valmiki, l’inventeur de la poésie parmi ces peuples, nous conduit-il en esprit sur la cime élevée du Mérou ? nous nous croyons transportés par Homère, sur le haut Olympe, et assister à l’assemblée de ces dieux, qu’il nous représente sous des couleurs si séduisantes, se nourrissant de la divine ambroisie, comme les dieux de l’Inde se nourrissent de l’Amrit, ou eau de l’immortalité.

Si d’un côté nous voyons Jupiter armé de la foudre ; de l’autre, c’est dans les mains d’Indra, que brille ce redoutable météore ; Indra qui, revêtu d’une immense robe bleue, parsemée d’yeux, et s’appuyant sur l’arc-en-ciel, n’est visiblement que le firmament personnifié.

Vénus, la mère des Grâces, a aussi sa rivale dans Lakchmî, déesse de la beauté, produite comme elle, chose étonnante ! de l’écume de la mer. Apollon offre avec Krichna un grand nombre de rapports, et peut-être ne serait-il pas impossible d’en trouver entre les Muses et les Gopis qui accompagnent sans cesse leur dieu favori, le plus beau des immortels !

Quant au Bacchus grec, il serait difficile de ne pas en reconnaître l’identité avec le Bacchus indien, né, sur le mont Mérou ; circonstance qui a fait imaginer aux mythologues grecs, le conte de sa prétendue naissance de la cuisse de Jupiter, par allusion aux mots Mérou et Méros, comme on le reconnaît généralement.

Et Kâma, le frère de l’Amour grec, aussi malin, aussi gracieux que lui, sous quelle séduisante allégorie ne nous est-il pas représenté par les poètes indiens ? C’est un enfant charmant, qui a pour amis inséparables le Printems et le Zéphire ; armé d’un arc formé d’une canne à sucre, d’un carquois garni de cinq flèches, en nombre égal à nos sens, bien aiguës, trempées dans des sucs d’une vertu brûlante, et dont il se sert sans pitié, pour porter incessamment le trouble dans les cœurs ; armes aussi rapides que la foudre, et auxquelles s’est trouvé jadis en butte un pauvre ermite, dont le poète Viasa nous a transmis l’histoire.

Mais avant d’en commencer le récit, qu’il me soit permis d’arrêter encore un seul moment votre attention sur quelques particularités relatives à Indra, et qu’il est nécessaire de connaître, pour bien saisir l’esprit de cette petite fable, extraite du Brahmâ-Pourâna, ouvrage dont la composition peut, au sentiment des plus savans Indianistes, égaler en antiquité les poésies d’Homère.

Indra, quoique le même que le Jupiter grec sous bien des rapports, en diffère cependant en ce que son trône n’est pas aussi bien affermi que celui de ce maître des dieux. Si Jupiter a couru une fois le risque d’être détrôné par les Titans, il les a exterminés ; et mettant fin ainsi à leurs entreprises audacieuses, il a régné depuis en toute sécurité : mais il n’en est pas ainsi d’Indra, car il peut perdre son rang de chef des divinités secondaires, et se voir forcé par l’immuable Brahma, ou le Destin, à le céder à tout pénitent qui, par d’effrayantes austérités, surpasserait le mérite qu’il se serait lui-même acquis précédemment.

Ce dieu donc, au milieu des délices qui l’entourent dans son habitation céleste ; malgré le charme des divins concerts des Gandharvas, des danses aériennes des voluptueuses Apsaras, n’est pas sans inquiétude. Aussi ses regards penétrans comme ceux de l’aigle, se promènent par intervalles sur la terre, sur ces sombres forêts surtout, dans l’ombre desquelles les farouches Yoguis aiment à s’ensevelir. En aperçoit-il quelqu’un dont les austérités, sur le point de recevoir leur accomplissement, pourraient lui porter ombrage, il députe aussitôt vers lui la plus agaçante des nymphes de sa cour, en lui enjoignant de mettre tout en usage pour séduire le vertueux anachorète : et s’il succombe à la tentation, le voilà obligé de recommencer de nouveau sa longue pénitence ; et pendant ce tems Indra se livre aux douceurs du repos.

Tels sont les moyens que ce dieu a employés il y a quelque trois mille ans, pour rendre nulle, sur les bords du fleuve Gômati, la pénitence de l’ermite Kandou.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}