Il repense à ses amis, à ses pareils, à ses confrères planteurs de l'île. A ceux de sa race, de son rang, de sa couleur, de sa classe. Il réentend leurs réflexions. Il connait leurs peurs, leurs incohérences. Les Noirs les fascinent. Ils leur prêtent des puissances inconnues. Les Noirs les terrorisent, c'est pourquoi ils tiennent tant à les dominer. Ils se voient mangés par eux, dévorés crus, ou bouillis dans leurs chaudrons de sorciers. Ils se croient maudits par eux, ensorcelé par leurs magiciens, persécutés par leurs divinités flamboyantes. Ils s'imaginent violés par eux, traversés par leurs sexes démesurés. Il revoit les gestes furtifs des dames et des jeunes filles, quand elles longent les plantations, pour se coller un mouchoir de batiste ou de dentelle sous le nez, pour ne pas sentir l'esclave, le Noir, le nègre, comme on se bouche les narines devant l'ordure ou la charogne, ou comme on cherche à éventer le parfum de l'interdit.