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Citation de PATissot




Suite des extraits :

Le 1er jour de septembre

Nous avons eu hier la visite de Liselle et Peter. Ils voulaient m’inviter à vendanger un clos près de chez eux, le troisième dimanche de septembre. Tante Anne était justement en train de confectionner des rôties avec la cuisinière. Elle a proposé à Liselle de l’aider pendant que Peter et moi allions voir des courses de chevaux. Lorsque nous sommes revenus tous les deux, j’ai entendu des rires depuis la porte d’entrée et la voix de tante Anna qui disait :
– Qu’elles sont drôles ! De toute ma vie, je n’en ai pas vu de si drôles !
Je n’en croyais pas mes oreilles ! Tante Anna riait. Elle s’esclaffait à en perdre le souffle devant la tête déconfite de Liselle, barbouillée de farine, qui venait de sortir du feu les rôties tordues qu’elle avait confectionnées. Elles étaient aussi rouge l’une que l’autre d’être restées devant l’âtre. Cela m’a fait plaisir de voir ma tante aussi joyeuse. Nous avons mangé les rôties de la petite, excellentes malgré leurs formes curieuses…

Le 21e jour de septembre

Quel beau dimanche ! Je suis sorti de la ville dès la première heure du jour pour rejoindre le village de Peter et Liselle. J’y ai entendu la messe avec eux, puis nous sommes tous allés vendanger un clos de vigne qui appartient à leurs parents à une lieue de là.
Liselle a raison. Toute la campagne a pris une couleur dorée, féerique sous le soleil. Les hommes cueillaient les grappes et les posaient délicatement dans de grosses hottes accrochées dans leur dos. Pendant ce temps-là, les femmes et les filles, robes retroussées jusqu’aux genoux, foulaient le raisin avec leurs pieds dans de larges bassines.
Quand tout le raisin fut ramassé, nous sommes rentrés chez Peter et Liselle. Leur mère était restée à la maison pour préparer un repas de fête : une oie rôtie à la broche, un pâté de lapin aux herbes et aux oignons, le tout arrosé de bière. J’ai dormi à côté des porcs, comme le jour de mon arrivée à Strasbourg. Je suis parti ce matin, dès prime, et suis arrivé presque à l’heure à l’atelier.

Le 29e jour d’octobre

J’ai quitté la place du Fronhof ce matin, ma presse coincée dans le dos entre les lanières de cuir de mon sac. Une petite besace accrochée à la ceinture me battait les cuisses à chaque pas. Elle était remplie de pains tout chauds que tante Anne avait passé la nuit à faire cuire. L’oncle Hans m’a offert en cadeau d’adieu un petit gobelet – «pour ne pas trop te charger !» – en or, avec mes initiales gravées au-dessus d’une ceinture de minuscules perles. Il était si ému qu’il s’est contenté de me serrer dans ses bras. J’ai cru que j’allais étouffer ! Je m’en veux un peu de les abandonner tous les deux mais oncle Hans m’a promis qu’il viendrait me voir à Paris. Et puis maintenant que Liselle lui rend souvent visite, tante Anne a vraiment changé. Elle parle, elle rit, elle chante même parfois. Aussi est-ce moins difficile pour moi de les quitter.

Le jour de fête de Pâques, 2e du mois d’avril 1468

Des cas de peste ont été déclarés, derrière l’ancienne enceinte, dans le coin de la rue Vieille-du-Temple. (…)
Heureusement qu’Emery est là. Il sait déjà presque lire et ne cède jamais au découragement. Il est plus opiniâtre que moi. Sans doute est-ce parce que la vie a été si dure pour lui jusqu’à présent.
Hier soir, nous avions de la peine à nous endormir sur notre paillasse et nous avons discuté. Emery aime me poser des questions sur ma vie à Mayence. Ce qu’il préfère, c’est m’interroger sur le Grand Ulrich :
– Alors, comme cela, il se moquait de tes cheveux ? C’est vrai qu’il te traitait de couard parce que tu savais lire ? Et pourquoi tu ne battais pas avec lui ? C’est vrai qu’à cause de lui, tu n’avais pas beaucoup d’amis ?
Emery conclut toujours la conversation par cette phrase :
– En tous cas, maintenant, tu as moi comme ami.
Parfois, il me demande aussi de lui mimer oncle Hans et de lui décrire Liselle qu’il prend vraiment pour une fée. Les premiers jours, j’ai essayé moi aussi de le questionner. Mais il s’abstenait toujours de me répondre, s’en tirait avec une pirouette et parlait d’autre chose.
(…)

Épilogue, septembre 1492, Venise.

Emery et Martin ont travaillé pendant plusieurs années avec Nicolas Jenson et participé à l’invention d’un nouveau caractère, le romain. Ils ont contribué au lancement de la grande société commerciale imaginée par l’imprimeur. Leurs agents vendent désormais leurs livres dans toutes les villes d’Italie.
Nicolas Jenson est mort très riche, en 1481, après avoir été fait comte palatin par le pape Sixte IV. Venise est aujourd’hui un centre typographique très important.
Martin Grünbaum, devenu lui aussi maître imprimeur, a ouvert son propre atelier après la disparition de Nicolas Jenson. Son épouse, Liselle, s’occupe des comptes et des commandes ; son associé, Emery, surveille les presses. Ses deux fils sont aujourd’hui apprentis imprimeurs.
(…)
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