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Citation de Cielvariable


Quarante-huit salves de quarante-huit canons

L'herbe ! Cette bonne herbe, moelleuse et drue : on y était confortablement couché et, si l'on s'allongeait bien à plat, elle vous masquait complètement, s'élevant aussi haut que votre corps. Elle ondulait au vent venu de la Manche, des têtes de pont encore jonchées des vestiges du débarquement, matériel abandonné pendant la bataille, débris de canons allemands, véhicules démolis et tordus. Par moments, il semblait à Bing qu'un peu de la lourde et douceâtre odeur des morts se mêlait encore à ce vent. Mais ce n'était qu'une idée : les morts avaient été enterrés dans les dunes des plages de débarquement, dans les dunes d'Omaha et d'Utah. Il avait lui-même vu les corvées de prisonniers allemands creuser les tombes ; et maintenant celles-ci étaient pleines de cadavres et de sable, et le vent qui caressait l'herbe autour de lui était passé sur les croix fichées dans les dunes.
Il tourna la tête de côté. Entre les brins d'herbe, il pouvait voir le château, Château-Vallères, avec sa tour ronde, ses toitures délabrées, ses petites fenêtres à demi aveugles. À quelque distance, retentissait un claquement régulier et continu : dans le hangar situé près du ruisseau qui s'écoulait dans les calmes douves refermées, telles une ceinture vert sombre, autour du château, les deux filles du métayer, deux grosses et robustes créatures, au visage rubicond et aux traits si frustes qu'il était difficile de dire laquelle était Manon et laquelle Pauline, étaient en train de battre la lessive, les chemises, les pantalons, les caleçons, les chaussettes et les sous-vêtements du détachement.
Belle journée pour faire la lessive, se dit Bing. D'ici un petit moment, Manon et Pauline allaient sortir du hangar pour mettre le linge à sécher. Elles se hausseraient sur la pointe des pieds, essayant d'atteindre le fil tendu dans les arbres du taillis voisin du ruisseau, et entre le bord de leur jupe que l'effort ferait remonter et le haut de leurs bas de laine noire, on apercevrait un peu de la chair rouge de leurs cuisses.
Bing croisa ses mains derrière sa nuque et tourna son regard vers le ciel. Le ciel était bleu. Il n'avait pas la profondeur de ce ciel anglais que Bing avait contemplé avant de prendre part au débarquement ; il était différent. C'était bien le ciel du continent, ce ciel qu'il se rappelait depuis son enfance. Pas un nuage dans ce ciel inondé de lumière, que traversait lentement, semblable à un insecte, un avion d'observation dont le vrombissement était comme avalé par l'altitude. À part cet avion, tout était paisible.
Les deux filles sortirent du hangar, le linge humide dans leurs bras dodus. Bing se leva et se dirigea lentement vers elles.
- Salut, petites, dit-il en français.
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