AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Partemps


À Catulle Mendès.

Tournon, Mardi matin
(24 avril 1866).

Mon cher Catulle,

Vous avez maintenant mon treizain de Poèmes[1], et vous me pardonnez mon retard, n'est-ce-pas ? Ce serait mal à vous de ne pas le faire, car toutes ces veillées de la semaine, et les nuits des deux derniers jours ont été consacrées à rendre ces vers présentables. Vous savez combien je tiens à la justesse de l'impression, et que, par conséquent, le changement d'un mot entraîne un remaniement. Or ne me fallait-il pas un jour par poème ? J'ai mis moins que cela. Songez donc ! pour évoquer les étés, les automnes, les minutes, et pour rester dans la manière de ces époques, en ne faisant que corriger ce qui, alors, comme maintenant, eût été fautif. D'autant plus que ces vers ayant surtout pour moi la valeur de souvenirs[2], je tenais à ce que tous gardassent leur dates.

J'ai quelques prières à vous faire. 1. De me dire s'il y aurait quelqu'une des corrections que vous n'aimiez pas, ― après avoir longtemps examiné sa signification, car il faut vous défier de la sensation désagréable qu'on éprouve à voir de nouveaux mots à la place de ceux que la mémoire finissait d'avance. J'y ai moi-même été pris parfois. Toutes les substitutions ont eu leur but, relatif généralement à la composition, et je n'ai pas hésité à sacrifier des vers qui me semblaient d'une jolie peinture. ― Mais quand on est seul, sans conseil ni ami, sans épreuve, on peut se tromper ! Du reste, ces quelques sacrifices seraient rachetés, amplement, par d'heureuses choses que j'ai replacées, dans le goût de ces temps, toujours.

Seconde prière, qui se rapporte ― je n'ose pas dire à l'impression, mais à l'imprimerie. Je voudrais un caractère assez serré, qui s'adaptât à la condensation du vers, mais de l'air entre les vers, de l'espace, afin qu'ils se détachent bien les uns des autres, ce qui est nécessaire encore avec leur condensation. J'ai numéroté les poèmes, est-ce utile ? En tous cas, je voudrais, aussi, un grand blanc après chacun, un repos, car ils n'ont pas été composés pour se suivre ainsi, et, bien que, grâce à l'ordre qu'ils occupent, les premiers servent d'initiateurs aux derniers, je désirerais bien qu'on ne les lût pas d'une traite et comme cherchant une suite d'états de l'âme résultant les uns des autres, ce qui n'est pas, et gâterait le plaisir particulier de chacun. ― Leur ordre est bon, n'est-ce-pas ? à l'exception du Mendiant que j'ai rejeté à l'avant-dernière place, ne sachant où le caser. ― Que pensez-vous du titre ? J'ai hésité entre Angoisses et Atonies, qui sont également justes, mais j'ai préféré le premier qui met mieux en lumière l'Azur, et les vers dans la même note.

Enfin, suprême grâce, mais demandée à genoux, celle-ci ! Envoyez-moi une épreuve, que je ne garderai que vingt-quatre heures, je vous le jure, par Dieu qui voit mon âme ! Supposez qu'elle soit mise à la poste un Mardi, je l'aurais le mercredi à dix heures, et, le Jeudi, la renverrais pour que vous la receviez le vendredi matin ; ce sont là mes meilleurs jours, mais prenez-en d'autres, s'ils vous gênent. Je tiens à cette Épreuve, non pour les fautes matérielles, dont vous voudrez bien vous charger, n'est-ce-pas, mon ami, mais pour voir par moi-même l'effet d'ensemble, d'abord, et, s'il n'y aurait pas avantage à déplacer certains poèmes : puis des détails, qui seraient répétés à trop peu de distance, et se contrediraient, même. Enfin, il y a un ou deux titres que je n'ai pas encore trouvés, celui du Mendiant, par exemple, et de Tristesse d'été, qui répète un mot du sonnet[3].

De même, je me rappelle que le mot fin se trouve deux fois dans Épilogue. Mais assez !

Que de minuties, vraiment chinoises, mon bon Catulle, mais vous les comprenez, et vous ne les oublierez pas. Publiant ces quelques vers, il vaut autant le faire le mieux possible et les offrir d'une façon qui déguise tant de choses qui manquent encore !

Et le journal, quand paraîtra-t-il ? J'attends avec joie ce premier numéro. Vous m'en parlerez dans votre lettre, n'est-ce-pas, lettre que vous m'écrivez. (De suite ?)

Parlez-moi de vous, comme je vous parle de moi, c'est le seul moyen de se réunir un peu. Travaillez-vous ?

Quant à moi, je suis toujours à l'ouverture d'Hérodiade que je ne reprendrai que dans huit jours, étant fatigué par la revision de mes poèmes. (Il est, en effet, si difficile de faire un vers quand on l'a dans l'âme ; qu'est-ce, lorsqu'il faut le faire longtemps après avoir oublié ce qui eût pu le faire naître.) Je reviens à Hérodiade, je la rêve si parfaite que je ne sais seulement si elle existera jamais. Et puis, il faut dire que ce commencement qui m'attarde, est le plus difficile de l'œuvre. J'en étais à une phrase de vingt-deux vers, tournant sur un seul verbe, et encore très effacé la seule fois qu'il se présente. Enfin, d'ici aux vacances, j'ai encore du temps ! Je me tais, parce que je n'aime pas en parler : ce sont des souffrances à ressentir chaque fois que j'ouvre la bouche à ce sujet.

Pourtant, elle sortira, la Reine ! de toutes ces tristesses, ― mais quand ? Je ne dois pas trop écouter le découragement de l'instant où je vous écris ces mots, parce que beaucoup de lassitude s'y mêle.

= Adieu, mon cher Catulle ; ma femme porte la main de Geneviève à la bouche de cette petite fille qui vous envoie un baiser, et moi je serre la main et vous assure que je ne passe jamais un jour sans songer à vous. Amitiés à tous mes chers amis que je ne nomme pas, pour ne pas mettre l'un avant l'autre. Ne m'oubliez pas auprès de de Banville. Mes meilleurs souvenirs à Monsieur et à Madame de Lisle.

Votre
S. MALLARMÉ.
Question insidieusement discrète : « Et le cœur[4] ? »


Des treize poèmes envoyés (« Les Fenêtres », « Le Sonneur », « A celle qui est tranquille », [« Angoisse »], « Vere novo » [« Renouveau »], « Tristesse d'Eté », « L'Azur », « Les Fleurs », « Soupir », « Brise marine », « Le Château de l'Espérance », « Le Pitre châtié », « A un mendiant » [« Aumône »], « Epilogue »), onze seulement paraîtront (la liste citée moins « Le Château de l'Espérance » et « Le Pitre châtié »). Encore « Tristesse d'Eté » ne parut-il que le 30 juin, à la fin du volume repenant les livraisons de la revue.
Comme l'indique l'« Épilogue » (« Las de l'amer repos... ») des poèmes du Parnasse, ce treizain relève déjà d'une inspiration dépassée.
« A un mendiant » deviendra « A un pauvre », mais « Tristesse d'été » gardera son titre.
Catulle Mendès était fiancé à Judith Gautier.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}