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Citation de Partemps


Avignon, 8, Portail-Mathéron,

dimanche 4 septembre 1870.

Mon cher ami,

Je suis honteux de l'aventure du journal et je voulais, il y a déjà quelques jours,
t'expliquer cette énigme.
Repris par le travail, immédiatement Villiers parti, j'ai cessé ma course au kiosque qui
défaisait ma séance du matin, et, tout étant contradictoire dans les feuilles, m'en suis
tenu an, dépêches.
J'avoue que la lecture de celle de ce matin, que tu connais à cette heure-ci, n'est-ce pas?
(40.000 Français prisonniers, l'empereur du nombre, et Mac-Mahon grièvement blessé)
a été sévère. Il y a dans l'atmosphère d'aujourd'hui une dose inconnue de malheur et
d'insanité.
Et tout cela, déjà, parce qu'une poignée de niais, il y a cinq semaines, s'est dite insultée
et a méconnu l'histoire moderne qui subsiste d'autre chose que de ces vieilleries
puériles. Je n'ai jamais si complètement détesté la Niaiserie.
Mais rien de ceci dans ce billet. Je te serre la main et, sans l'intention de te faire sourire,
je place sous cette enveloppe une série de timbres qui nous arrivent d'un bureau de tabac
à Arles Je ne sais si tu te souviens d'une somme équivalente que tu m'as prêtée lors de
ma dernière visite.
An revoir, amitiés de mon entourage. Ton
Stéphane M.
1. Mallarmé réexpédiait sans doute à Mistral les journaux d'Avignon.
2. Villiers avait prolongé de quelques jours son séjour à Avignon pour y voir sa tante, Gabrielle Villiers
de L'Isle-Adam, religieuse au Sacré-Cœur.
3. La bataille de Sedan avait eu lieu le 1er septembre.
4. Quinze jours plus tôt, Mallarmé avait reçu de Cazalis une lettre particulièrement amère : — Mon cher
enfant, où allons-nous? Je n'ai pas encore mon ordre de départ. Lefébure que j'ai été embrasser hier sera
réformé pour sa vue, il l'espère du moins. J'ai vu Mendès avant-hier, qui m'a longuement parlé de toi, de
vous et il a été ravi de votre hospitalité. Je suis triste qu'aux os : cette guerre est horrible à force d'être
absurde. Puis cette canaille de Paris qui ce soir peut-être va se soulever, tout cela est hideux, fait mal à la
pensée comme un mauvais rêve, comme un charivari dans une rue de province , comme une cacophonie
de vers sans rimes ni raison, comme La Marseillaise chantée par Thérésa. Comment rêver encore quand
tous ces voyous gueulent, pouah! J'ai des envies de vomir et, si je croyais dans l'âme immortelle, je
mourrais volontiers, Mais quitter ses amis, les vieux livres, les statues (les vers de terre sont de si mauvais
artistes) ne plus rêver , ne plus aimer, ne plus caresser de belles femmes, crois-le cela m'ennuierait
effroyablement. Enfin, je ferai ce qu'il faudra faire ; mais si le destin est l'auteur
de tout cela, ah! le pitoyable et le ridicule musicien!
Du début d'octobre, Triel à Aviation, pour Mallarmé, ce message de guerre signé Lefébure: — Un mot
seulement pour vous dire que je ne suis pas mort, que je porte bien, que je ne repose, et que nous sommes au milieu des compatriotes de Marie dont l'unique soldat s'est si effroyablement multiplié. C'est fort
triste...
Une cacophonie de vers sans rimes ni raison, belle anticipation!
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