L'océan est vaste, et les îles ne sont que de minuscules cailloux parsemant sa surface.
Mis à part les lacérations sur son torse, probablement dues à des coups de ceinture, et aux hématomes naissant sur ses côtes, il fallait reconnaître que la vue était... intéressante. Contrairement à Vic Foley, le seul garçon d'à peu près mon âge présent à bord et qui était une véritable crevette, le jeune homme-poisson possédait quelques muscles, à peine marqués certes, mais la discrète courbe de ses biceps étaient un véritable régal pour les yeux à côté de la bedaine proéminente et exagérément poilue de certains membres de l'équipage.
Il avait suffi d’une nuit pour que mon existence entière bascule.
Il me restait encore quelques heures de marche avant d'arriver à bon port, mais je n'étais pas inquiet : le chemin était facile, large, et il était impossible de se perdre. Ma lanterne suffirait bien.
Bientôt, le chant des insectes se tut, l'ombre recouvrit les bois, le hululement des hiboux se fit entendre ; le craquement des plus petites brindilles, le moindre bruissement de feuille devinrent perceptibles. Après la canicule de la journée, cheminer ainsi avait quelque chose d'incroyablement apaisant, malgré la sensation que n'importe quoi pouvait sortir des ténèbres au delà des arbres ; je trouvais cette impression issue de mon imagination fort amusante.
Des mâts au pont en passant par le bastingage, toutes les boiseries étaient vermoulues. Les voiles, moisies, sales, rapiécées à la va-vite et trouées malgré tout. Il manquait la moitié de la figure de proue, probablement arrachée au cours d'une bataille, à moins qu'elle ne fut tombée en morceaux toute seule. Enfin, les cordages étaient si usés que la plupart d'entre eux semblaient sur le point de rompre à tout moment. Au cours de ma vie, j'en avais vu, des bateaux en mauvais état, mais jamais aucun d'aussi proche du statut d'épave flottante. C'était à se demander comment un bâtiment pareil parvenait encore à naviguer.
Le plus beau jour de ma vie n'était, pour l'instant, pas très folichon.
Et surtout n'en finissait pas. Les aiguilles de la pendule murale semblaient s'être figées. Pourtant, je savais que ce n'était pas le cas ; j'avais vérifié les piles un peu plus tôt dans l'après-midi. Ainsi qu'arrosé les plantes, dépoussiéré leurs feuilles, vidé les corbeilles à papier, rangé mon bureau, remis du P.Q dans les toilettes et redressé les reproductions de tableaux ornant les murs de l'accueil. A ce stade, excédée par mon manège, ma supérieure m'avait priée de contenir ma nervosité et de m'occuper sans quitter ma chaise. Je venais donc de passer cinq heures à rafraîchir les pages Facebook et Twitter de la municipalité dans l'espoir de voir apparaître un commentaire ou mieux, une question, mais il n'y avait eu ni l'un, ni l'autre.
Depuis le matin, j'avais en tout et pour tout répondu à quatre coups de fil – dont une erreur de numéro – et en dehors des employés, absolument personne n'avait poussé les portes de la mairie ce jour-là. Vu le froid glacial et le brouillard humide, ça n'avait rien de surprenant, d'autant qu'on ne pouvait déjà pas dire que je croulais sous le travail en temps normal.
Un jour, peu après ses six ans, la fillette annonça ainsi avec l'air le plus sérieux du monde :
– J'aimerais être pirate quand je serai grande.
Le roi et la reine sourirent.
– Bien sûr, tout ce que tu voudras, ma chérie, répondit sa maman.
La petite princesse explosa de joie, avant de retourner vers ses amis en courant pour leur annoncer la bonne nouvelle.
La reine se pencha vers son époux et gloussa derrière son éventail :
– Quelle amusante lubie ! J'espère juste qu'elle ne se blessera pas en jouant...
– Ne t'en fais pas, ça lui passera, lui répondit le roi ; La semaine prochaine, elle parlera sans doute de devenir chasseresse ou chevaucheuse de dragons.
En entendant ces mots, la reine ne sut pas trop si elle devait se sentir rassurée ou non !
Cependant, contrairement aux prévisions de son père, la jeune princesse ne changea pas d'avis.
A huit ans, elle parlait encore de déterrer des trésors.
A dix ans, d'explorer des îles inconnues.
Et à douze ans, de mener des abordages.
La chaleur était écrasante. Même quand le soleil entamait lentement sa descente, personne n'était assez fou pour s'aventurer dehors en plein soleil pendant le mois de Février, à part ces abrutis de touristes. C'était d'ailleurs le seul et unique avantage de la chose : il n'y avait jamais de témoins.
Les flots clapotaient doucement contre la coque du minuscule canot à moteur. Au loin, la silhouette du bateau-bus se détachait en ombre chinoise devant le soleil orangé irradiant la mer. Comme d'habitude, ils étaient tellement captivés par l'horizon que personne ne faisait attention à lui. Ça en devenait presque ennuyeux. Le son du chargement de l'arme résonna à ses oreilles. Un sourire fugace éclaira son visage. Il remonta le foulard jusque sous son nez, et manœuvra lentement, dans un silence complet, jusqu'à venir s'appuyer contre la coque de sa cible.
- Laissez les hommes défendre le village.
- Défendre le village ?! protestai-je en me dégageant ; Sans déconner, un tavernier, un charpentier et quelques pêcheurs à la retraite ?! Vous croyez vraiment pouvoir faire le poids face à des hommes armés jusqu'aux dents et rompus au combat ? J'appelle ça du suicide !
Je repris en chœur avec son image les paroles qu'il m'avait murmurées à l'oreille :
"Les morts ne pleurent pas
Les morts ne souffrent plus
Les souvenirs s'estompent, et la peine se dilue
Mais s'il y a bien une chose
Qui n'est jamais perdue
C'est le sentiment d'amour,
Qui nous hante toujours"