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Critiques de Sylvie Arkoun (1)
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Les vies de Mohammed Arkoun

Je viens de terminer la lecture du livre de Sylvie Arkoun, « Les vies de Mohamed Arkoun », publié en 2014 aux éditions PUF.

Je recommande cet ouvrage très émouvant, souvent drôle, écrit avec précision et sensibilité et très éclairant pour comprendre le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.

La lecture est captivante pour au moins trois raisons.

D’abord, Sylvie Arkoun entraîne le lecteur dans une enquête passionnante sur son propre père, éminent islamologue d’origine kabyle, de nationalité algérienne mais tôt installé en France pour ses études, puis sa carrière universitaire.

Mohamed Arkoun est resté une énigme pour sa fille jusqu’à sa mort le 14 septembre 2010.

Divorcé de sa première épouse, la mère française de Sylvie, le professeur Arkoun est un père absent, totalement absorbé par sa mission intellectuelle et soucieux de garder le secret sur sa famille algérienne.

Lorsque Sylvie Arkoun se trouve embarquée dans des funérailles pharaoniques et médiatisées au Maroc à l’instigation de la seconde épouse de son père, elle subit le choc concret des rites musulmans (« Alice en terre d’islam, j’ai l’impression de m’être habillée avec une housse de couette », note-telle après avoir enfilé la djellaba de rigueur), se trouve étrangère dans des milieux intellectuels et politiques dont elle ignore tout et touche du doigt combien elle ne connaît rien de la vie intime et professionnelle de son père.

Elle décide alors de partir à la découverte de cet inconnu qu’elle aurait voulu accessible et proche.

La première raison de lire ce livre est donc de découvrir un homme au parcours remarquable qui saura quitter son petit village de Kabylie jusqu’à être décoré à l’Elysée par le président Jacques Chirac.

Mais, plus bouleversant encore, Sylvie Arkoun explore les raisons du silence que son père a toujours observé sur ses origines familiales. Avait-il honte d’être né dans un modeste village de Kabylie ?

Non, au contraire, l’auteure-enquêteur découvre que son père a toujours maintenu des liens très étroits avec les membres de sa famille.

Sylvie Arkoun dévoile avec finesse ce paradoxe presque schizophrénique d’un homme tellement attaché à ses racines qu’il ne veut pas faire souffrir sa fille française et chrétienne de cet exode culturel et humain.

Enfin, la fille de l’islamologue est bien obligée d’essayer de comprendre la pensée complexe de son père sur l’islam. Est-il « croyant » ? Est-il « musulman » ? Il se déclare, en privé, plutôt « philosophe ».

Le récit de son bannissement d’Algérie par un musulman égyptien annonce les années noires de l’islam politique radical et son prolongement terroriste.

L’intellectuel apparaît lucide sur la géopolitique de l’islam mais, comme l’analyse finement Sylvie Arkoun, il semble avoir renoncé très jeune à toute forme d’expérience spirituelle : « Il dut faire face à une forme de paralysie de la foi (…) Dieu était un problème à résoudre comme une équation de mathématique, et le fait même de se consacrer à cette activité avait totalement interrompu sa vie spirituelle, jusqu’alors très intense. » (p. 234)

Ce qui fait l’originalité du livre sur le fond, c’est l’entrecroisement de ces trois fils, l’un purement biographique (l’itinéraire d’un homme à la croisée de deux cultures), l’autre relationnel (le père progressivement révélé aux yeux de sa fille) et le troisième intellectuel (comment porter un regard de déconstruction scientifique sur un objet religieux, le Coran, réputé « sacré » et même « incréé »).

Ce qui constitue la singularité de l’ouvrage sur la forme, c’est la combinaison d’un journal où l’auteure est présente et nous communique ses émotions, non sans un humour parfois mordant (la maladie, la mort, les funérailles, la légion d’honneur à l’Elysée, les retrouvailles avec la Kabylie…), d’événements reconstitués à la manière de chapitres de roman (Mohammed Arkoun chez les Pères blancs, son départ d’Alger, sa vie d’étudiant à Paris et ses rapports avec le FLN, ses amours…) et les lettres intercalées de Mohammed Arkoun à son ami Père blanc Maurice Borrmans, professeur d’islamologie à Rome (ayant eu pour élève Christian de Chergé, prieur de Tibhirine).

Dans ces lettres à Maurice Borrmans, Mohamed Arkoun laisse transparaître une certaine lassitude et un pessimisme des plus sombres : « Cesse de penser au dialogue ! Les musulmans (arabes surtout) sont condamnés à vingt ans au moins d’idéologie meurtrière pour eux-mêmes… » (30 avril 1991).

Il y a quelque chose de Raymond Aron chez Mohamed Arkoun : la lucidité dérangeante d’un fils de Descartes agnostique.

Pour autant, l’enquête de Sylvie Arkoun n’en reste pas là. Derrière l’intellectuel tout entier consacré à son œuvre, il y eut aussi un homme de chair et de sang, avec un cœur et, surtout, une fille en quête d’affection, de reconnaissance et de vérité.
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