A 9 heures, la mémé de Thomas entend sonner à nouveau.
C'est Madame Bonnifait, sa voisine qui s'inquiète de voir les volets fermés. Mais sa mémé est aux anges.
Elle enchaîne les doubles boucles piquées, les triples axels, se sent monter au ciel et se perdre dans les nuages.
Bouder c'est pas difficile, il suffit de...
placer la bouche en canard,
gonfler un peu les joues,
regarder par en-dessous,
se taire ou parler entre les dents,
ne pas rire,
rester dans bouger dans son coin.
Quand le corbillard passe devant la porte du bistrot, HANS est tout seul à suivre la carriole qui emmène sa mère vers l'au-delà.
HANS est né huit mois après la guerre.
Huit mois après le jour où sa mère a été tondue derrière l'église. Faut dire que ce jour là, ce fameux 15 août, les gars ne se sont pas contentés de la tondre.
Du coup, quand le drôle est né, elle ne savait pas quelle nationalité il avait. Mais elle l'a appelé HANS, rien que pour les faire chier.
EROS et THANATOS.
Quand je serai vieux, je serai un petit bonhomme malingre au corps souffreteux. J'aurais deux gros sourcils en broussaille qui cacheront mes petits yeux fanés et une bouche qui s'agitera tout le temps.
En fait, je ressasserai depuis que ma virilité m'aura abandonné. Je me souviendrai du temps où faire l'amour me donnait si fort la sensation d'être vivant.
Tous les matins, au réveil, je jetterai un œil sous les draps, dans l'espoir d'une résurrection.
Je me regarderai le polichinelle et je lui dirai : " Nous sommes nés ensemble, nous avons grandi ensemble, nous nous sommes mariés ensemble. Pourquoi a-t-il fallu que tu meures avant moi ?".
Mon drapeau sera en berne et j'aurai perdu le goût de la vie. Alors je passerai mes journées à l'hospice, le regard vide, devant ma télé qui s'égosillera.
On me nourrira, on me changera, on me soignera, on tirera sur l'élastique de ma vie, mais moi... j'attendrai patiemment la mort.
" Ciel! mon mari!"
C'est lui! Le bel ange du buffet. Le pépé!
Il est magnifique dans son costume clair scintillant.