"Je me laisse choir sur les skis en pliant mes jambes engourdies par l'émotion. J'observe la neige brassée par le plantigrade. A défaut de peur, une lourdeur désagréable m'envahit. Je me souviens alors qu'avant l'attaque j'étais occupé à prendre des notes dans mon journal. Le cherchant des yeux, je n'arrive pas à le retrouver. Je finis par le sortir de la neige, détrempé, constatant une fois de plus combien il est important d'écrire au crayon à papier, toujours indélébile."
"L'exploration olfactive des pistes dure encore sept heures. Nous visitons trois autres territoires fourragers d'ours, rencontrons toutes sortes de marques excrémentielles anciennes ou fraîches, et marchons sur des traces de sangliers. Les oursons réagissent sans curiosité aux empreintes et déjections de sangliers. Peut-être sont-ils troublés par la proximité des odeurs d'ours. Nous tombons aussi sur une trace de blaireau. L'ayant flairée, ils promènent des yeux étonnés tout autour d'eux. Moi-même suis tenté d'en faire autant, bien qu'il n'y ait personne à la ronde. Puis je ris de moi, en silence : le blaireau ne vient ici que la nuit, mais son odeur est si forte qu'elle confond les oursons. En chemin nous effrayons quelques gélinottes qui s'envolent à grand bruit d'ailes. Mais ils daignent à peine leur accorder un regard."
De bon matin nous arrivons à Katine Mokh, vaste marécage émaillé çà et là de petits lacs et d'îlots de terre où pousse abondamment l'airelle des marais avec aussi, clairsemés, des pins chétifs. Il y a tout autour comme un rideau de lédon (Ledum palustre). Des tapis de mousse sont piqués par endroits de myrtilles. Katine Mokh est un monde à part. Bêtes et oiseaux viennent s'y nourrir de baies, d'herbes, de graines, d'aiguilles de pin. Des ruisseaux s'y abreuvent d'une eau que le marécage distribue avec parcimonie. Après le sous-bois, on est ravi de trouver ici de l'espace, de la lumière, et une odeur émouvante."