A quelle seconde [ma mère] a-t-elle décidé de partir ? J'imagine qu'un jour, c'est venu comme un vertige. Ca s'est déclaré à elle, parce qu'une voix a résonné dans sa tête. (...) Elle avait allumé une cigarette. Et puis elle a plongé lentement, en secret, au-dedans d'elle-même. Son corps mince est resté là, figé, mais son esprit, tout son être en fait, a basculé dans le vide, une formule rêvée, une formule utopique, idéale de la féminité. Immersion progressive dans le silence, dans l'intrigue de sa naissance, dans la question de sa place, dans le fatras des ambitions fanées de son mariage, son "ménage", disait sa mère, dans l'anti-destin que constituaient ses jours et ses nuits. Quel souvenir garde-t-elle de nous, de ce temps maternel qu'elle a décidé de suspendre, d'avant l'étiolement, d'avant la fuite ? (p. 48-49)