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Citation de carolinemolino


Tout foyer allemand était tenu de posséder un Volksempfänger, littéralement un « récepteur du peuple », que les gens appelaient Göbbelsschnauze, gueule de Göbbels. Ce petit poste minable, noir, rond et laid, avait en effet une certaine ressemblance avec la tête de notre ministre de la propagande. Il coûtait une somme dérisoire et était allumé pratiquement jour et nuit. Les Allemands étaient-ils vraiment assez naïfs pour ne pas se rendre compte qu'il ne servait qu'à mieux endoctriner et désinformer les masses jusque dans les fermes les plus isolées, des alpages bavarois jusqu'aux Halligen1 frisonnes de la mer du Nord ?
Pour nos journaliers, logés dans des maisons appartenant à mon père, qui ne possédaient que quelques meubles dont le principal était une desserte avec des tasses multicolores qu'on ne sortait que pour les baptêmes, les enterrements, ou les visites de ma mère, eux qui n’avaient qu’une vache, un chien de garde galeux et une douzaine d’oies qui en hiver, dormaient dans la cuisine ou sous le lit conjugal, posséder une radio semblait le comble du luxe.
Nous avions également acheté un poste pour les domestiques, car les jours où le Führer faisait ses grands discours publics, tous les patrons étaient obligés de rassembler leur personnel. Ils devaient contrôler que personne ne s’était esquivé pour piquer un roupillon ou se baigner dans le lac au lieu d’écouter les harangues ponctuées de « Sieg-Heil » et de fanfares, qui s’achevaient sur un pathétique « Un peuple, un pays, un guide ». Pendant ce temps-là tout le travail de la ferme s’arrêtait. Une femme pouvait accoucher, une vache vêler, le feu prendre dans une grange, personne ne se serait dérangé. Je ne pense pas, après avoir vécu cinquante ans en France, qu'un Hitler aurait pu ainsi réduire tout un peuple à des marionnettes, à des songe-creux, à l'ouest du Rhin.
Après chaque discours, surtout après l'invasion de la Russie, mon père disait, avec une voix grave « Cela va mal se terminer ». Et le soir, mes parents écoutaient sur leur grande radio d'avant-guerre, après avoir fermé toutes les portes à clé et recouvert le poste d'un duvet, « London calling, London calling, here is London, here is London, boum, boum, boum, boum, boum ».
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