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Citation de Danieljean


Lisbonne, 25 mai 1787.
Sortis dans la soirée en voiture, nous avons comme d’habitude suivi le bord de mer et longé les vénérables arcades du couvent de Belem. Le vieil abbade Xavier, en sentinelle devant la porte du palais Marialva, nous invita à voir les appartements et le manège où le marquis déploie ses brillants talents équestres. Des gravures anglaises, de méchants dessins de madones et de saints garnissaient maigrement les murs. Le marquis affiche un goût prononcé pour les pendules, compas et chronomètres. J’en ai compté pas moins de dix dans sa chambre à coucher parmi lesquels quatre ou cinq horloges dont les balanciers en mouvement émettaient de tristes grincements. Je les laissai carillonner tout à leur aise, car il était exactement six heures, pour suivre mon vénérable guide. Il me fit monter et dévaler une bonne demi-douzaine d’escaliers, traverser plusieurs terrasses avant de pénétrer dans un grand salon, tendu d’un damas rouge et fané.
Je trouvai là D. Pedro de Marialva, jeune garçon dont la tournure ne manque pas d’élégance mais que défigure une natte ridicule. Il marqua les plus grands égards à l’objet de la singulière prédilection de son cher Père. Polycarpe, le premier ténor de la chapelle de la reine, jouait du clavecin au centre de la pièce. La porte entrebâillée d’un appartement contigu mais obscur me permit de jeter un bref coup d’œil sur D. Henriqueta, sœur de D. Pedro. S’avançant un instant pour se reculer le moment d’après, anxieuse d’approcher et d’examiner l’être exotique dont elle avait probablement tant ouï parler, elle n’osait mettre les pieds au salon en l’absence de sa mère. Elle me sembla fort belle, avec des yeux rieurs et une taille d’une grâce infinie. Mais que dis-je ? Elle m’est apparue comme en rêve ; peut-être son charme s’évanouira-t-il au grand jour. Quoi qu’il en soit, enflammé par cette vision romantique, je me sentis inspiré : je me mis au clavecin et chantai d’une manière qui souleva l’étonnement de la horde de chantres, de prêtres, de musiciens et de maîtres d’armes en service auprès de l’héritier des Marialva. Je parcourus avec lui les loggias que l’on appelle en Portugal vérandas, d’où l’on découvrit les ombrages d’un jardin bien entretenu ; des légumes d’une grande fraîcheur y poussaient, chose peu commune sous ce climat torride. Je surpris chez D. Pedro quelque répugnance à me quitter ; je le pressai de m’accompagner pendant le restant de ma promenade ; aussitôt il bondit dans le carrosse Sa faible connaissance du français empêcha notre entretien de prendre un cours intéressant La soirée était splendide, une aimable brise marine tempérait la chaleur, de nombreux vaisseaux apparaissaient à l’entrée du port. Nous sommes revenus vers huit heures après avoir déposé D. Pedro à son palais. J’ai mal dormi en raison des hurlements et jappements de la gent canine. L’affreux malheur que j’ai éprouvé il y a un an, jour pour jour, m’est brusquement revenu en mémoire : une fois de plus j’ai connu les pires tourments.
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