Avec mon père, tous les étés, nous visitions, un par un, tous les châteaux de la région parisienne où nous habitions. Et après les châteaux, bien sûr, il nous fallait découvrir les jardins des châteaux. Et comme c’était l’été, on crevait de chaud. Surtout dans la partie jardin. Après avoir passé deux heures dans les vastes pièces sombres et fraîches des bâtiments, nous parcourions, éblouis et déjà complètement épuisés, les allées blanches et infinies qui longeaient les miroirs d’eau semblant vouloir, par leur longueur, nous achever totalement. Le pire, c’était lorsque nous omettions de nous procurer un plan des jardins. Parce que là, il fallait choisir entre prendre à gauche ou prendre à droite et comme l’on n’apercevait pas l’extrémité de la pièce d’eau, nous comptions sur le hasard pour emprunter le chemin le plus court. Je me souviens très nettement que j’enviais les canards. Vraiment. J’avais envie de me jeter à l’eau tellement je n’en pouvais plus de cette chaleur, de ces gravillons éblouissants. Ce n’était pas l’époque des gourdes et des lunettes de soleil. On partait sans rien. Les yeux piquaient et l’on buvait en rentrant. Et je voyais les canards barboter. Le ruissellement des perles d’eau sur leur plumage argenté me remplissait d’envie et de jalousie. J’observais leur façon de plonger leur tête sous l’eau et leur capacité à y rester un certain temps. J’avais soif. Mon corps était brûlant. La tête me tournait. Je voulais être un canard colvert ou un cygne tuberculé. J’aurais tout donné pour changer de condition et pouvoir m’ébattre dans la fraîcheur des bassins. Je n’en pouvais plus de marcher, parce qu’avec mon père, il fallait forcément aller jusqu’à la statue finale, Hercule pour Vaux-le-Vicomte, où se rejoignaient toutes les lignes de perspective, et qui, lorsque l’on se retournait pour embrasser du regard tout le chemin parcouru, nous faisait prendre conscience de tout ce qu’il restait à faire pour le retour, sans eau, les yeux secs et les pieds meurtris. Je voulais nager.
Alors quand Babelio m’a proposé ce guide des jardins remarquables, j’ai eu comme un moment de nostalgie. Mon père n’est plus et je me suis dit que je le retrouverais un peu dans ce livre. J’ai immédiatement tout reconnu : le cèdre du Liban de Malmaison, l’ancien moulin à chanvre de Courances, la chaumière aux coquillages de Rambouillet... Je l’ai trouvé vraiment très beau ce guide, très complet. Les photos sont magnifiques. Je me suis dit qu’aujourd’hui, je paierais tout l’or du monde pour dire à mon père : « Tiens, papa, allons ensemble au Parc de Bagatelle, il a l’air si beau au printemps et retournons s’il te plaît à Courances, je veux revoir avec toi La Baigneuse et le jardin japonais... »
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