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Citation de balooo


PROLOGUE

Aux premiers jours de l’été 2006, mon père quitta Téhéran pour Paris afin de faire renouveler son titre de résident en France, qui arrivait à expiration. Comme je m’étais étonnée qu’il entreprenne pareille démarche, dont l’utilité m’échappait, étant donné qu’il était retourné vivre en Iran six ans plus tôt, il m’avait répondu que ce document lui épargnerait pendant les dix années de sa validité les tracasseries administratives d’une demande de visa chaque fois qu’il voudrait nous rendre visite, à mon frère et à moi. Il se projetait dans l’avenir. Il ignorait qu’il n’en avait plus.

La veille de sa venue, alors allongée sur le divan de mon psychanalyste, je laissai tout à coup échapper une phrase incongrue, qui me surprit moi-même, comme si une autre personne l’avait prononcée : « Quelqu’un va mourir. » Un temps s’écoula, durant lequel je me demandai qui pourrait bien être appelé à disparaître, quand soudain je m’entendis articuler : « Cette personne, c’est mon père. » La séance touchant à son terme, ce fut sur ces derniers mots que je quittai mon psychanalyste. En raison des vacances, nous ne devions plus nous revoir avant plusieurs semaines.

Le lendemain, quelques heures après qu’il avait poussé la porte de chez elle, ma mère me téléphonait : « Behrouz va mal », me dit-elle. Il souffrait de douleurs abdominales atroces. Le médecin venait de lui prescrire des calmants, mais il fallait selon lui procéder à des examens plus approfondis. « Viens vite ! » ajouta ma mère.

Au moment d’appuyer sur la sonnette, je fus convaincue qu’un seul coup d’œil me suffirait à savoir si mon père allait vivre ou mourir : comme les devins de l’Antiquité dans les entrailles fumantes d’animaux ­sacrifiés, je lirais cet augure sur ses traits.

Ma mère m’ouvrit et me fit entrer sans prononcer un mot. Je la suivis jusque dans la chambre où mon père était allongé. En le voyant, je sus qu’il était condamné. La douleur avait à ce point remodelé son ­visage que j’eus du mal à le reconnaître. Je lui adressai malgré tout un bonjour désinvolte, d’une voix haut perchée, dont la légèreté feinte me fit honte. Il se redressa dans son lit et me sourit. Je m’approchai et nous nous serrâmes dans les bras l’un de l’autre. Puis, d’instinct, je déposai un baiser sur son front, comme si je lui disais déjà adieu.

Deux mois plus tard, ses cendres reposaient dans le fond d’une urne funéraire, au columbarium du Père-Lachaise.

« Mon père est mort » : tels furent mes premiers mots lorsque je retrouvai mon psychanalyste.
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