AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Dorian_Brumerive


14 août, six heures du soir. – La fenêtre de ma mansarde se dresse sur le toit comme une guérite massive; les arêtes sont garnies de larges feuilles de plomb qui vont se perdre sous les tuiles; l’action successive du froid et du soleil les a soulevées; une crevasse s’est formée à l’angle du côté droit. Un moineau y a abrité son nid.
Depuis le premier jour, j’ai suivi les progrès de cet établissement aérien. J’ai vu l’oiseau y transporter successivement la paille, la mousse, la laine destinées à la construction de sa demeure, et j’ai admiré l’adresse persévérante dépensée dans ce difficile travail. Auparavant, mon voisin des toits perdait ses journées à voleter sur le peuplier du jardin, et à gazouiller le long des gouttières. Le métier de grand seigneur semblait le seul qui lui convint; puis, tout à coup la nécessité de préparer un abri à sa couvée a transformé notre oisif en travailleur. Il ne s’est plus donné ni repos, ni trêve. Je l’ai vu toujours courant, cherchant, apportant; ni pluie ni soleil ne l’arrêtaient ! Éloquent exemple de ce que peut la nécessité ! Nous ne lui devons pas seulement la plupart de nos talents, mais beaucoup de nos vertus !
N’est-ce pas elle qui a donné aux peuples des zones les moins favorisées l’activité dévorante qui les a placés si vite à la tête des nations ? Privés de la plupart des dons naturels, ils y ont suppléé par leur industrie; le besoin a aiguisé leur esprit, la douleur éveillé leur prévoyance. Tandis qu’ailleurs l’homme réchauffé par un soleil toujours brillant, et comblé par les largesses de la terre, restait pauvre, ignorant et nu au milieu de ces dons inexplorés, lui, forcé par la nécessité, arrachait au sol sa nourriture, bâtissait les demeures contre les intempéries de l’air, et réchauffait ses membres sous la laine des troupeaux. Le travail le rendait à la fois plus intelligent et plus robuste; éprouvé par lui, il semblait monter plus haut dans l’échelle des êtres, tandis que le privilégié de la création, engourdi dans la nonchalance, restait au degré le plus voisin de la brute.
Je faisais ces réflexions en regardant l’oiseau dont l’instinct semblait être devenu plus subtil depuis qu’il se livrait à son travail. Enfin, le nid a été construit; le ménage ailé s’y est établi, et j’ai pu suivre toutes les phases de son existence nouvelle.
Les œufs couvés, les petits sont éclos et ont été nourris avec les soins les plus attentifs. Le coin de ma fenêtre était devenu un théâtre de morale en action, où les pères et mères de famille auraient pu venir prendre des leçons. Les petits ont grandi vite, et, ce matin, je les ai vu prendre leur volée. Un seul, plus faible que les autres, n’a pu franchir le rebord du toit, et est venu tomber dans la gouttière. Je l’ai rattrapé à grand’peine et je l’ai replacé sur la tuile devant l’ouverture de sa demeure; mais sa mère n’y a point pris garde. Délivrée des soucis de sa famille, elle a recommencé sa vie d’aventurière, dans les arbres et le long des toits. En vain, je me suis tenu éloigné de ma fenêtre pour lui ôter tout prétexte de crainte; en vain l’oisillon infirme l’a appelée par des petits cris plaintifs, la mauvaise mère passait en chantant et voletait avec mille coquetteries. Le père s’est approché une seule fois, il a regardé sa progéniture d’un air dédaigneux, puis il a disparu pour ne plus revenir !
J’ai émietté du pain devant le petit orphelin, mais il n’a point su le becqueter. J’ai voulu le saisir, il s’est enfui dans le nid abandonné. Que va-t-il devenir là, si sa mère ne reparaît plus ?
15 août, six heures. – Ce matin, en ouvrant ma fenêtre, j’ai trouvé le petit oiseau à demi-mort sur la tuile; ses blessures m’ont prouvé qu’il avait été chassé du nid par l’indigne mère. j’ai vainement essayé de le réchauffer sous mon haleine; je le sens agité des dernières palpitations, ses paupières sont déjà closes, ses ailes pendantes ! je l’ai déposé sur le toit dans un rayon de soleil, et j’ai refermé ma fenêtre. Cette lutte de la vie contre la mort a toujours quelque chose de sinistre : c’est un avertissement !
Commenter  J’apprécie          00









{* *}