AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de LydiaB


A ce moment, comme la jeune femme pendait sa dernière pièce de linge, il y eut des rires à la porte du lavoir.
- C'est deux gosses qui demandent maman ! cria Charles.
Toutes les femmes se penchèrent. Gervaise reconnut Claude et Étienne.
Dès qu'ils l'aperçurent, ils coururent à elle, au milieu des flaques, tapant sur les dalles les talons de leurs souliers dénoués. Claude, l'aîné, donnait la main à son petit frère. Les laveuses, sur leur passage, avaient de légers cris de tendresse, à les voir un peu effrayés, souriant pourtant. Et ils restèrent là, devant leur mère, sans se lâcher, levant leurs têtes blondes.
- C'est papa qui vous envoie ? demanda Gervaise.
Mais comme elle se baissait pour rattacher les cordons des souliers d'Étienne, elle vit, à un doigt de Claude, la clef de la chambre avec son numéro de cuivre, qu'il balançait.
- Tiens ! tu m'apportes la clef ! dit-elle, très-surprise. Pourquoi donc ?
L'enfant, en apercevant la clef qu'il avait oubliée à son doigt, parut se souvenir et cria de sa voix claire :
- Papa est parti.
- Il est allé acheter le déjeuner, il vous a dit de venir me chercher ici ?
Claude regarda son frère, hésita, ne sachant plus. Puis, il reprit d'un trait :
- Papa est parti... Il a sauté du lit, il a mis toutes les affaires dans la malle, il a descendu la malle sur une voiture... Il est parti.
Gervaise, accroupie, se releva lentement, la figure blanche, portant les mains à ses joues et à ses tempes, comme si elle entendait sa tête craquer. Et elle ne put trouver qu'un mot, elle le répéta vingt fois sur le même ton :
- Ah ! mon Dieu !...ah ! mon Dieu !... ah ! mon Dieu !...
Madame Boche, cependant, interrogeait l'enfant à son tour, tout allumée de se trouver dans cette histoire.
- Voyons, mon petit, il faut dire les choses... C'est lui qui a fermé la porte et qui vous a dit d'apporter la clef, n'est-ce pas ?
Et, baissant la voix, à l'oreille de Claude :
- Est-ce qu'il y avait une dame dans la voiture ?
L'enfant se troubla de nouveau. Il recommença son histoire, d'un air triomphant :
- Il a sauté du lit, il a mis toutes les affaires dans la malle, il est parti...
Alors, comme madame Boche le laissait aller, il tira son frère devant le robinet. Ils s'amusèrent tous les deux à faire couler l'eau.
Gervaise ne pouvait pleurer. Elle étouffait, les reins appuyés contre son baquet, le visage toujours entre les mains. De courts frissons la secouaient. Par moments, un long soupir passait, tandis qu'elle s'enfonçait davantage les poings sur les yeux, comme pour s'anéantir dans le noir de son abandon. C'était un trou de ténèbres au fond duquel il lui semblait tomber.
- Allons, ma petite, que diable ! murmurait madame Boche.
- Si vous saviez ! si vous saviez ! dit-elle enfin tout bas. Il m'a envoyée ce matin porter mon châle et mes chemises au Mont-de-Piété pour payer cette voiture...
Et elle pleura. Le souvenir de sa course au Mont-de-Piété, en précisant un fait de la matinée, lui avait arraché les sanglots qui s'étranglaient dans sa gorge.
Cette course-là, c'était une abomination, la grosse douleur dans son désespoir. Les larmes coulaient sur son menton que ses mains avaient déjà mouillé, sans qu'elle songeât seulement à prendre son mouchoir.
- Soyez raisonnable, taisez-vous, on vous regarde, répétait madame Boche qui s'empressait autour d'elle. Est-il possible de se faire tant de mal pour un homme !... Vous l'aimiez donc toujours, hein ? ma pauvre chérie. Tout à l'heure, vous étiez joliment montée contre lui. Et vous voilà, maintenant, à le pleurer, à vous crever le coeur... Mon Dieu, que nous sommes bêtes !
Commenter  J’apprécie          340





Ont apprécié cette citation (25)voir plus




{* *}