La Bible est un livre qu’écrivit un petit peuple de pasteurs effrayé par le développement de l’urbanisation, terrorisé par les premières villes du Moyen-Orient. Tandis que les Mésopotamiens inauguraient une nouvelle conception de la société en se fixant, se resserrant, se massant, les Hébreux, eux, perpétuaient un mode de vie opposé : nomadisme, non-possession des terrains, limitation de l’activité à des tâches élémentaires. Dans la Bible, chaque fois qu’une ville surgit, sa mention s’accompagne d’un jugement péjoratif, voire de connotations diaboliques : Sodome, Gomorrhe, Ninive, Babylone, Jérusalem. (…)
Aux yeux des bergers, la ville signifiait séparation : rupture avec l’espace environnant par des murailles ; rupture avec le temps des saisons dans un dédale minéral ; rupture avec la nature par l’érection d’un monde artificiel ; rupture avec le reste de l’humanité par l’élaboration d’une identité à l’intérieur d’une enceinte. Pour eux, quoique la ville concentrât les individus, elle dispersait les esprits. À Babel, un groupe s’inventa un nombril et le regarda. Les bergers, s’ils reconnaissaient en Babel une création humaine, y repéraient également une dé-création par rapport à Dieu. Cette prise de pouvoir sur le monde par les hommes ne s’approche pas du divin, elle le défie, voire le remplace.
Rédigée à l’extrême fin de la civilisation mésopotamienne, la Bible n’élaborait pas une idéologie nouvelle ; elle rêvait au temps des ancêtres, préférant les anciens aux modernes. Certes, les bergers n’étaient plus des chasseurs-cueilleurs et ne croyaient plus aux Esprits, Âmes, Nymphes, Divinités, cependant ils conservaient le goût d’une vie simple en harmonie avec le cosmos.