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Citation de emdicanna


Bergson objecte à Einstein que le temps mathématique et déshumanisé du physicien n'épuise pas le sens du temps vécu et que, de toute façon, ni la science ni la métaphysique n'ont jamais rien dit qui vaille sur l'expérience du temps, essentiellement parce qu'elles se confient à l'intelligence qui est réfractaire à la durée, dont le sens commun a l'intuition. Nous avons beau porter une montre au poignet, nous ne sommes pas réductibles à un chronomètre, ni même à une horloge parlante. C'est pourquoi la pensée scientifique, et même la pensée tout court, se trompe lorsqu'elle croit dire le temps. N'étant qu'un fragment de la vie, elle n'a pas les moyens de dicter ses règles à la vie. A trop schématiser le temps, on laisse certainement échapper quelques unes de ses propriétés fondamentales. Sur ce point, le débat reste ouvert : lorsque nous examinons la beauté, la puissance et l'efficacité des théories physiques actuelles, oublieuses du temps, nous ne pouvons que donner raison à Einstein ; mais lorsque nous voyons un enfant qui grandit en inventant chaque jour de nouveaux gestes, nous percevons mieux la pertinence des objections de Bergson. Sa philosophie passe probablement comme lettre à la poste auprès des pères de famille attentifs.
Reste que la furtivité de l'instant physique a du mal à rendre compte de l'épaisseur de la durée psychologique. Chronos et tempus rechignent à se confondre, la ponctualité de l'un s'accordant mal avec la continuité de l'autre. Einstein lui-même en convenait : "Il n'y a pas un temps des philosophes ; il n'y a qu'un temps psychologique différent du temps des physiciens." L'opposition des arguments d'Einstein et de Bergson fournit une estimation de la distance qui sépare ces deux sortes de temps. L'affrontement de ces deux géants de la pensée posait indirectement une autre question, celle de savoir qui a autorité pour parler du temps. La réponse est certainement : personne, ou plutôt tout le monde. Dans le domaine de la pensée, le temps incarne la fin des privilèges. Il n'est l'apanage d'aucune discipline et nul ne peut, sur un tel sujet, revendiquer une quelconque préséance. Mais on sait bien que la fin des privilèges ne signifie pas celle des affrontements.
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