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Critique de Henri-l-oiseleur


Antipop : L'assassinat de Lucky Luke par le lâche Jul
Parce que la pop culture, malgré ses joyaux, est avant tout une sous-culture de masse, il ne faudrait pas oublier de prendre du recul et de la gifler tous les mois. L'Incorrect tient à votre hygiène mentale, voici la rubrique Antipop.
Par Romaric Sangars
Publié le 7 janvier 2021, L"Incorrect.
© Lucky Comics
C'était l'évènement de décembre 2020, un nouvel album de Lucky Luke pour un Noël certifié politiquement correct, par les bons soins du scénariste Jul et du dessinateur Achdé, qui venaient de prostituer le cowboy solitaire aux obsessions du temps. En effet, dans Un Cow-boy dans le coton, Luke allait se confronter à la question raciale aux États-Unis, la mémoire de l'esclavage et la représentation des minorités, en somme, l'une des figures majeures de la bande-dessinée franco-belge et de notre imaginaire enfantin allait se retrouver aussi blindé de catéchisme progressiste qu'une série Netflix. En arrière-plan, le péché originel du genre, Tintin au Congo et ses clichés coloniaux, qu'il était urgent de racheter par une mise à jour retentissante. Ainsi le cowboy à mèche eut-il pour mission de corriger les dérapages du reporter à la houpette.

Les nouveaux chevaliers errants

L'argumentaire qui sous-tend cet album est typique du néo-progressisme américain : on nous apprend qu'en fait, un quart des cowboys ayant été noirs, il serait urgent de corriger l'image ethno-centrée que les westerns nous ont donnée de cette figure. Sauf qu'une oeuvre de fiction n'a pas pour vocation de refléter les apparences de la réalité, un tel objectif constituerait en outre une terrible régression dans le processus de représentation lui-même. C'est tout prendre au pied de la lettre pour tout raccrocher ensuite au train d'une idéologie délirante

Le cowboy solitaire du western n'a que peu de rapport avec la réalité sociologique des bouviers américains, et il faut être sacrément con pour croire le contraire. Il est une réactivation d'un des mythes structurants les plus fondamentaux de l'imaginaire collectif européen, à savoir le chevalier errant. Lucky Luke, c'est Gauvain ; Jolly Jumper est son Gringalet ; et comme Gauvain (mais aussi James Bond), il est un héros dépourvu de biographie et donc perpétuellement disponible pour une nouvelle aventure. Il se trouve que quand toutes les Brocéliande du Vieux Continent semblèrent défrichées, le Grand Ouest sauvage du Nouveau Monde découvrit un nouvel horizon de dangers, d'épreuves et de fantasmes.

Un tract binaire et indigeste

Fatalement, soumis à un cahier des charges idéologique écrasant, comme on pouvait s'y attendre, et même en pire, l'album n'est qu'un tract poussif dépourvu de poésie, de surprise ou d'humour. Les Américains blancs du Sud y sont caricaturés comme un ramassis d'ordures esclavagistes tous plus stupides et sadiques les uns que les autres, et qui révulsent notre cowboy semblant découvrir la fracture raciale et comme si le Nord de l'époque avait pensé à la manière d'un hipster new-yorkais d'aujourd'hui (on se fout du réalisme en bande dessinée, mais puisqu'ils y prétendent…) Les noirs (dont on ne rappelle jamais qu'ils furent vendus par leurs frères) sont tous aussi innocents que le bon sauvage de Rousseau, à moins, comme Bass Reeves, de devenir un alter ego de Lucky Luke le surclassant sur tous les points et venant le délivrer des griffes du KKK. Bref, ce pur véhicule idéologique est d'un manichéisme racial à faire passer pour nuancée la profession de foi d'un officier SS.

Choc en retour

Si l'Amérique fut longtemps un horizon où l'Europe saturée se projetait à l'infini, désormais, ses obsessions morbides viennent nous infecter en retour. le douloureux héritage de l'extermination des autochtones et de l'esclavage des noirs nous est transféré à nous qui sommes autochtones et avons aboli trois fois l'esclavage. Là où un Belge fantasmait l'Amérique en nouvelle Bretagne fantastique pour émerveiller les enfants, voici que l'Amérique vient aujourd'hui vomir sa névrose dans des cerveaux de jeunes français. Et ceci fut rendu possible par la collaboration du lâche Jul.
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