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Critique de horline


Situation provisoire c'est une vie qui s'écoule entre les draps froissés d'une garçonnière et les commérages de bureaux pour Létitia. Mariée au bourru Petru pour lequel elle n'éprouve que des sentiments de lassitude et de culpabilité mêlées, elle guette chacun des gestes, chacun des regards conspirateurs de son collègue Sorin pour des rendez-vous clandestins.

Cet amour au goût d'interdit pourrait être frivole, distractif, une parenthèse de joie et de liberté. Mais sous la Roumanie qui n'en finit pas avec le communisme stalinien, la romancière dessine une relation désenchantée, baignée par un sentiment de tristesse et d'amertume lancinantes pour Sorin et Lety qui appartiennent à cette génération d'après-guerre coincée entre deux temps, deux mouvements, deux révolutions.
Ils naviguent dans un monde « où les modèles sont des idoles déchues », ils ont été éduqués par le Régime, « c'est lui qui [leur] a serré la cravate de pionnier autour du cou, lui qui [leur] a mis en main le carnet de l'Union des Jeunesses communistes ». Ils ont appris à ne dire à personne ce qu'ils entendaient à la maison, surtout les histoires de famille qui ont tremblé toute leur vie. L'auteure prend bien le temps de dérouler l'histoire de ces familles bourgeoises inévitablement traversée par l'histoire politique du pays, sous l'oeil inquisiteur de Moscou puis de la Securitate.
Ici et nulle part ailleurs, ce sont des histoires de famille qui sédimentent et laissent une empreinte indélébile sur les dossiers personnels et les histoires d'amour … de sorte que, même si Létitia préfère se laisser porter par ses rêves littéraires, elle garde en elle des réflexes de méfiance marxiste et une mémoire saturée de vieilles histoires qui la conduisent à porter un regard distant et écoeuré.

C'est donc un récit dense qui laisse peu de place aux moments de légèreté et d'allégresse. On assiste à une progression lente vers quelque chose qui mène à un sentiment d'impuissance des personnages, écrasés par les fantômes du passé et par le poids de leur résignation face à un futur voilé. Gabriela Adamasteanu ne cesse de rappeler que l'État policier est partout, il voit tout, entend tout et sait tout ; et ce qu'il ne sait pas, il l'invente. de fait, il épuise toute résistance et toute patience, broie les individus comme les intentions nobles.
Ce sentiment d'impuissance est d'autant plus fort qu'il est au coeur d'une relation entre des personnages indécis et timides qui ont choisi une vie hasardeuse, faite d'improvisation et d'heures volées au quotidien. Dés lors, rongée par le doute et une insatisfaction croissants, la voix intime de Létitia est parfois étouffante pour le lecteur. On se désespère parfois de ses envies avortées, de son aveuglement, des crises d'angoisse permanente, de son mutisme et de son immobilisme … et si c'était finalement une évolution des sentiments qui dépasse la question de l'emprise politique ?
Roman magnifique et exigeant.
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