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Critique de Dandine


C'est une relecture. Qui m'a poussee a rediger un nouveau billet, a la place d'un ancien, poste il y a quelques annees, disparu comme les neiges d'antan.


Ce livre est considere comme une des oeuvres maitresses d'Agnon. Publie en 1939, juste apres l'occupation de la Pologne par les armees allemandes, il y decrit l'etat lamentable d'une communaute juive.


L'histoire est tres simple, en fait il n'y a presque pas d'histoire: un juif polonais ayant immigre en Palestine revient pour un certain temps dans sa ville natale et tient une sorte de journal ou il depose tout ce quíl voit, toutes ses rencontres avec les habitants et surtout ses impressions et ses pensees. Il vient y passer un mois ou deux mais restera neuf longs mois – toute une gestation – jusqu'a ce que le manque d'argent le force a retourner a sa famille et a la patrie quíl s'est adopte.


La ville ne s'est pas remise du desastre qu'a ete pour elle la premiere guerre mondiale. Et la communaute juive encore moins. Les maisons sont encore en ruines. Les habitants, appauvris, affames la plupart du temps, en haillons. Les juifs fuient, emigrent dans toutes les directions. Ceux qui restent ne sont plus que l'ombre des gens dont se souvient encore le narrateur, l'hote de passage. Beaucoup ont perdu la foi de leurs ancetres et se cherchent – sans vraiment se retrouver – dans les nouvelles fois: communisme, anarchisme, sionisme. Leur denuement est autant moral que physique. Ils sont presque tous devenus des marginaux.

Le narrateur essaie de faire revivre une vieille synagogue, qui avait ete son foyer d'etudes, son ancienne "yeshiva" - sans resultat. Il s'y retrouve seul, a compulser des journees entieres des exegeses de textes sacres. Il en possede la cle - qu'on lui a remis - et c'est peut-etre cette cle qui le retient en cette ville: il n'y a personne a qui il pourrait la confier. La fenetre de la synagogue lui devoile des ruines: “Deux fois par jour je m'assois lire et deux fois par jour je m'approche de la fenetre et regarde la montagne qui s'eleve en face. Il fut un temps ou toute cette montagne etait habitee. La vivaient ouvriers et artisans et une jolie synagogue avait ete construite par ses habitants. [...] Quand eclata la guerre, les jeunes perirent sur les champs de bataille, les vieux moururent de faim, les veuves et les enfants furent extermines dans les pogroms et le village resta abandonne [...] toute la montagne est desolee et n'offre plus rien d'attrayant pour l'esprit”.

Quitter la ville, pour le narrateur – pour Agnon en fait, qui avait visite sa ville natale quelques annees auparavant – c'est dire adieu a un passe qu'il se rememorait brilliant. C'est faire le deuil d'une ville qui n'est plus que la ruine de son passe, d'une communaute qui n'est plus que l'ombre de ce qu'elle avait ete. Il fait le deuil de ses souvenirs en quittant un monde dechu. Il repart pour une Palestine ensoleillee ou de jeunes pionniers forgent un nouvel espoir. Et pourtant… Une fois arrive en Palestine, il s'apercoit qu'il a ramene dans ses bagages (hasard?) la cle de la vieille synagogue, de sa yeshiva galicienne. Il la garde, se rememorant des textes qui predisent qu'a la venue du messie, non seulement les hommes, mais aussi leurs maisons ephemeres de priere se retrouveront a Jerusalem. Mais moi qui suis moins mystique que Agnon, et peut-etre plus sentimental, je ne peux que rattacher cela aux vieilles legendes sepharades de juifs qui gardaient les cles de leurs maisons d'Espagne dans l'espoir – inavoue – d'y revenir un jour. Des cles qui devaient leur rappeler, generation après generation, qu'ils etaient et seraient toujours des exiles. Exiles d'Espagne. Est-ce que, de la meme facon de penser et de sentir, le narrateur de ce livre n'est pas, ne sera jamais qu'un exile, meme s'il affirme etre revenu dans la terre mythique de ses ancetres? Est-ce qu'Agnon nest - dans le plus profond de sa conscience – qu'un exile de Galicie?


Mais laissons Agnon et revenons a son livre. C'est un texte poignant. C'est un requiem. Ecrit avant la grande catastrophe, avant le grand holocauste.

Et puis il y a langue d'Agnon. Son langage particulier qui a fait sa celebrite: un melange de differents registres de langue, de l'hebreu biblique tache d'arameen talmudique jusqu'au langage rabbinique, abatardi, de la diaspora yddishisante. le tout, coule dans de l'hebreu moderne. Pour un lecteur hebraique c'est fascinant, mais en meme temps eprouvant, voire difficile; il faudrait presque avoir recours a un dictionnaire “special Agnon”. En traduction c'est evidemment appauvri et beaucoup d'allusions culturelles risquent de se perdre, sinon d'etre effacees. Il y a beaucoup trop de citations de prieres et autres textes rituels qui ne diront rien a un lecteur lambda. Alors, le conseiller? Oui, quand meme, car c'est assurement un beau livre, une grande oeuvre. Profondément lyrique, humaine et emplie de la vie de son peuple, rendant autant le monde social que celui des symboles. Comme une introduction a une judeite disparue.
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