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Critique de Andromeda06


Alors que Rami est hospitalisé pour un cancer en phase terminale, son fils Euphrate se rend compte que ce dernier a de lourdes pertes de mémoire. Irakien exilé depuis les années 1970, Rami ne se souvient pas de sa vie en France. En revanche, il se souvient de Falloujah et de sa vie en Irak. Pour Euphrate, c'est l'occasion de connaître enfin le passé que son père a toujours tu, de découvrir l'enfant qu'il était, celui qui a côtoyé la mort bien trop tôt, aussi bien que le révolutionnaire qu'il est devenu peu après. En échange, Euphrate lui raconte sa propre enfance, reconstitue la vie "à la française" de son père à travers ses propres souvenirs.

Au fil des chapitres, Euphrate, notre narrateur, nous raconte son père sur trois périodes bien distinctes : l'une qui débute à la fin des années 1950 à Falloujah, qui correspond à l'enfance de Rami jusqu'à ses choix de jeune adulte et qui aboutiront à son exil en France ; la seconde qui débute dans les années 1980, avec l'enfance d'Euphrate en région parisienne ; la dernière en 2019, au moment présent, correspondant à l'hospitalisation de Rami.

Échange de bons procédés, le père et le fils se livrent comme jamais ils ne l'avaient fait auparavant. Dans cet homme secret et taiseux, Euphrate refait connaissance avec son père. Il découvre un enfant de huit ans malheureux qui peine à trouver sa place au sein d'une famille qui le rejette, puis plus tard un jeune homme aux idées politiques à cause desquelles il goûtera à l'enfermement et à la torture avant de connaître l'exil.

Et à travers l'histoire de Rami, c'est la grande Histoire qui nous est contée, celle de l'Irak sur près d'un demi-siècle : la guerre contre l'Iran, l'invasion du Koweït, Abdel Karim Kassem, Saddam Hussein, la dictature, les arrestations, l'intervention des États-Unis, etc. Feurat Alani, en nous parlant du parcours de Rami, nous parle en fait de son pays d'origine, dont on en ressent l'attachement tout au long de notre lecture. Il remet les événements à leur place et dans leur contexte. On imagine sans peine Falloujah, sa rivière à qui Euphrate doit son prénom, les gamins qui y plongent avec leurs pastèques, son pont, les dattiers dans les jardins et qui bordent les routes... Et puis on découvre l'envers du décor : un pays fragilisé par les guerres, les coups d'État et la dictature. L'ambiance est donnée, à la fois envoûtante et inquiétante.

Mais "Je me souviens de Falloujah" n'est pas uniquement un livre qui parle de l'Irak. C'est aussi une histoire familiale, avec ses drames et ses bons moments. Il y est question d'amour, d'un fils à sa mère défunte, d'un fils à son père condamné. Il y est question de relations humaines, familiales essentiellement mais aussi d'amitié. Il y est question de résilience, d'affirmation de soi et de ses propres idées, de combats contre l'adversité, de recherche sur ses origines, des conséquences que le passé familial peut avoir sur les générations futures.

"Je me souviens de Falloujah", ce sont 288 pages très intenses, tant dans les événements qui touchent les personnages que les personnages eux-mêmes. Feurat Alani use d'une plume riche en émotions diverses, des plus belles aux plus terribles. Très peu d'éléments le concernant sont donnés sur le Net, pourtant on ressent tout au long de notre lecture que c'est une partie de lui-même et de son histoire qu'il nous livre. D'ailleurs Euphrate est né en France en 1980 de parents irakiens, exactement comme l'auteur lui-même. Il y a donc une dimension toute personnelle dans ce roman, clairement manifeste, ce qui le rend d'autant plus réaliste, percutant et touchant.

On s'attache assez rapidement à Rami et à son fils. Leur relation, souvent complexe, quelquefois distante, ne manque pourtant jamais d'amour l'un envers l'autre. Leur histoire familiale est aussi prenante qu'elle peut être douloureuse. Là encore, bien que je ne sache rien de la relation que l'auteur entretient ou a pu entretenir avec son propre père, on a pourtant l'impression qu'il ne fait qu'un avec le narrateur. C'est beau, attendrissant, émouvant.

"Je me souviens de Falloujah", c'est l'hommage d'un homme à son pays d'origine et de coeur autant qu'une déclaration d'amour d'un fils à son père. C'est ainsi que je le ressens en tout cas... Rien dans la quatrième de couverture ne l'indique pourtant, mais je me pose encore la question de savoir si je n'étais pas en fait dans une auto-fiction ?

Reçu et lu dans le cadre d'une masse critique privilégiée, je remercie Nathan de Babelio pour la sélection, ainsi que les éditions J.C. Lattès pour l'envoi de cet ouvrage. Bravo à Feurat Alani pour ce premier roman très réussi !
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