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Critique de ErMhaighEo


J'ai acheté ce livre pour me faire une idée du logiciel de pensée des militants anti-nucléaires (surtout allemands) dont Günther Anders est le maître à penser.

Il est ici donc question de "10 commandements" censés régir notre attitude et notre action face au nucléaire dont l'exégèse est ensuite faite par Bruno Villalba, professeur de science politique à AgroParisTech.

Le point de départ de la thèse est que que l'irruption de l'arme atomique dans notre monde et son emploi sur Hiroshima et Nagasaki ont engendré un "décalage prométhéen" entre les possibilités (immenses) permises par la technologie, et notre incapacité à nous représenter leurs conséquences (la destruction du monde). Il s'agit même d'une inversion puisque, "à défaut de se représenter un monde qu'elle ne peut encore produire, l'humanité a produit un monde qu'il ne peut plus se représenter". Bref, le slogan "j'en ai rêvé SONY l'a fait" est caduc, la destruction de l'humanité est inévitable et nous sommes tous en sursis.

Radical, soit. Pouvant évidemment s'expliquer par l'horreur des bombardements. Mais aussi par le parcours de Günther Anders. D'origine juive, traumatisé par la Shoah, il perçoit dans le processus ayant conduit à l'utilisation de l'arme nucléaire les mêmes perversions que celles développées dans le programme d'extermination nazie conduisant à la déresponsabilisation de l'homme, transformé en machine dans le cadre d'une division du travail déshumanisante.

Disons-le tout de suite : ce bouquin m'a heurté. Je ne vais pas commenter par le menu les 10 thèses exposées mais m'en tenir à quelques remarques sur les points clés selon moi :
1) La revendication du primat de l'émotion face à la raison. Cette démonétisation de la rationalité et plus spécifiquement du raisonnement scientifique plombe d'entrée de jeu le propos. Les affirmations "il est impossible de maîtriser le nucléaire civil" (sur quoi repose cette assertion et en quoi celui-ci ne serait-il pas concerné par les méthodes d'amélioration continue ?), ou alors quelques coquilles (*) dispersées dans le texte amènent à se poser la question : les auteurs maîtrisent-ils les fondamentaux techniques du sujet dont ils parlent ?
2) L'exagération revendiquée par l'auteur comme un outil rhétorique. Bigre... L'exagération n'étant jamais loin du mensonge.
3) La faiblesse de l'argumentation, les positions reposant plus sur un raisonnement en boucle habité par l'indignation et l'angoisse que sur un réel discours ordonné de type philosophique (encore moins scientifique). En ce sens, ces thèses se rapprochent plus du pamphlet.
4) Et le plus problématique de mon point de vue : l'outrance, voire la violence développées dans le propos : "créez la panique". "détruisez ceux qui sont prêts à vous détruire", etc...

Le cas du nucléaire civil mérite une analyse spécifique. La thèse n° 4 "DISTINGUER UN USAGE GUERRIER ET UN USAGE PACIFIQUE DE L'INDUSTRIE NUCLÉAIRE EST FOU ET MENSONGER" (autrement dit nucléaire militaire et civil) procède de l'amalgame pur et simple. D'abord parce qu'une centrale nucléaire n'a pas été conçue pour tuer des gens !!! Et ce sont deux choses complétement différentes. Même si certaines technologies "dual use" (très surveillées) peuvent être utilisées dans les deux domaines, il n'y a strictement AUCUN rapport entre une bombe A (à fission, qui explose) et une centrale EPR , mais vraiment aucun... S'agissant de la fusion, le rapport est encore plus lointain : une bombe H explose, alors qu'une (future) centrale à fusion (type ITER) ne fonctionne pas selon un processus de réaction en chaîne.
Il paraîtrait intéressant de se livrer à une petit exercice d'application de certaines des thèses à un domaine pertinent, en substituant au nucléaire civil disons... l'industrie du tabac : technologie moderne hyper-automatisée et sophistiquée, extrême division du travail, perte de vue par les exécutants de l'objectif qui est de "fabriquer un produit que l'on veut vendre à des gens dès leur plus jeune âge afin qu'il fument le maximum de cigarettes jusqu'à leur mort et que l'on maximise ainsi notre profit". Pas vraiment moral. Et très mortifère (8 millions de décès par an, soit des milliers de fois plus que le nucléaire civil). Faut-il empêcher les dirigeants de British American Tobacco de nuire, s'en prendre aux employés, etc... ? On voit bien les limites du raisonnement.

Bref un livre profondément déprimant mais qui a néanmoins le mérite réel de comprendre pourquoi le mouvement anti-nucléaire a émergé en Allemagne tout en éclairant la teneur de certains propos exprimés sur Twitter ou les plateaux télé par des associations comme Greenpeace, Reporterre, Négawatt, etc...

(*) j'ai noté en fin de page 20 la phrase suivante : "G. A. établit un lien consubstantiel entre le développement de la FUSION nucléaire à des fins civiles ou militaires" (... s'ensuit un exposé des incident intervenus sur des installations de FISSION, notamment à la centrale de Windscale renommée Selafield).
Cette phrase me laisse perplexe pour plusieurs raisons :
1) la fusion nucléaire civile n'existe pas. Seul existe à ce jour le démonstrateur ITER, en cours de construction, et dont la production du premier plasma est prévue vers 2030. Il paraît donc logique de penser que l'auteur veut parler de fission. mais ce n'est pas la même chose, en fait exactement le contraire.
2) Windscale a été renommé Sellafield et non Selafield
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