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Critique de Antyryia



Il y a deux mois environ, une douleur à la poitrine m'a inquiété. Comme ça n'était pas cardiaque, mon médecin m'a envoyé passer une radio des poumons.
Depuis ce jour-là, je n'ai pas retouché à une cigarette.
Parce que quand on fume plus ou moins un paquet par jour depuis vingt-cinq ans et qu'on nous envoie passer ce genre d'examens, on imagine rapidement le pire.
Les résultats n'auront révélé aucune anomalie réellement inquiétante, pour autant y aller n'a pas été inutile.
Puisque cette terreur que j'ai ressentie en allant chercher les résultats a semble-t-il enfin produit l'électrochoc dont j'avais besoin.

La mère d'Amélie Antoine n'a quant à elle pas passé de radio tout de suite. Peut-être que les choses auraient été différentes si son généraliste, son époux ou elle-même s'était davantage inquiété de cette toux persistante. Mais six mois après, les premiers examens dévoileront une tumeur. Elle a alors cinquante ans.
"Ma mère a fumé pendant plus de trente ans, et son cancer du poumon n'a aucun rapport ..."
La métastase au poumon sera soignée : chimiothérapie et opération.
Lors du suivi, le scan montrera une nouvelle masse inquiétante, au niveau du rein cette fois.

Combien de temps n'est pas un roman. Considéré comme un récit autobiographique, je l'ai quant à moi perçu davantage comme un journal intime dans lequel Amélie Antoine a écrit épisodiquement ses ressentis face à la maladie de sa mère.
Sans connaître la fin quand elle a commencé à prendre la plume.
Elle y décrit aussi bien la progression du cancer et ses différents traitements que les comportements ou réactions des principaux intéressés, le tout entrecoupé de réflexions personnelles sur l'existence, la fatalité, la mort.
"Je crois que l'être humain vit et meurt. Point. Qu'il n'y a rien après."
Ces mots ont été couchés sur le papier comme un besoin. Exprimer sa souffrance comme pour lui donner corps et pouvoir l'extirper.
Concrétiser l'innommable pour en alléger la douleur.

Le combat qui se déroule sous nos yeux n'est pas uniquement celui d'une femme contre la maladie, c'est celui de toute une famille qui doit affronter ses angoisses et son sentiment d'injustice sans se plaindre. Amélie a endossé le rôle de la fille qui se doit de garder le moral en amusant la galerie.
"Faire le clown, ça devient un peu difficile au bout d'un an."
Elle simule une confiance qu'elle n'a plus, instaurant un climat de gaieté et de normalité qu'elle est loin de ressentir.
Et pourtant le dialogue est souvent compliqué, simuler encore et toujours sans pouvoir évoquer ses pires peurs est usant, et l'envie de fuir ce très long cauchemar parfois très tentante.
D'autant plus que la malade n'est pas une patiente facile.

La vérité n'est pas embellie pour donner à tout prix une auréole à une mère idéalisée. Elle souffre. Les effets secondaires des différentes chimiothérapies entraînent une multitude de complications. Et elle a certainement conscience que cette douleur ne fait que lui offrir un petit sursis supplémentaire. Alors une forme d'aigreur l'emporte. Elle a l'impression d'être passée à côté de sa propre vie, et il lui faut trouver des coupables. Comme par besoin d'identifier la cause de cette injustice. Ingrate ? Non, juste humaine. Tout le monde ne peut pas toujours tendre l'autre joue et peu sont capables d'allier maladie et sourire.
A part Gudule peut-être, dans le bel été.
Mais pour Amélie, son père et sa jeune soeur, le temps s'est arrêté, comme mis entre parenthèses. Il y a eu le choc initial, puis l'espoir ... puis l'attente de l'inéluctable.
Les amis laissent à désirer. Des réactions maladroites sont à déplorer, et il ne faut surtout pas répondre franchement à la question "Et ta mère, comment va-t-elle ?" pour ne pas les mettre mal à l'aise ...
Et puis il y a ceux qui ont étrangement disparu de la circulation.

"Quelqu'un aurait-il envie de lire tout ça un jour ? Et si oui, pourquoi ? Pour savoir comment l'histoire finit, peut-être ..."
Ce qui m'a amené à lire ces pages, c'est tout simplement parce que le livre a été écrit par Amélie Antoine. Il n'y a pas cette fois le même suspense que dans Fidèle au poste, comment l'histoire se termine, on s'en doute.
Les rebondissements, c'est l'évolution imprévue de la maladie, les erreurs médicales.
"J'ai tellement l'impression que personne ne gagne contre le cancer ..."
La seule inconnue, c'est combien de temps.
Mais il ne s'agit pas d'une fiction.

C'est très difficile de donner un avis sur un tel témoignage, ce qu'Amélie partage avec ses lecteurs appartient à sa sphère intime et évoquer le combat de sa mère contre des nodules parasites nous met dans une position de voyeur, qui voudrait parfois détourner le regard.
Parce que ce livre est sans espoir. Pas même celui d'une quelconque vie après le dernier souffle. Si vous avez actuellement un proche qui se bat contre la maladie, ne vous précipitez pas sur ce récit.

Ce que j'ai apprécié en revanche c'est l'honnêteté du propos, qui ne déguise pas les faits. C'est sincère et l'émotion n'en n'est que plus grande.
On a envie d'être cet ami qui, à défaut de pouvoir la rassurer, saura au moins l'écouter.
Amélie Antoine avait besoin de parler de sa mère, et elle a probablement eu envie de partager ses doutes en prenant conscience que des millions d'autres personnes étaient concernées par la maladie, victime ou témoin impuissant.
"Impuissance face à la douleur, face au chagrin des uns et des autres, face à la peur et à l'angoisse."
Et cet hommage est susceptible de parler à tous. Parce que s'il s'agit bien de son histoire, très personnelle, chacun a déjà été confronté de près ou de loin à la maladie d'un proche et se sentira concerné, peut-être même un peu moins seul.
Et si j'ai lu en gardant quand même un certain recul ces pages à l'écriture pudique et sensible, j'ai fini par m'identifier à notre jeune narratrice dans la dernière partie. Elle décrit son deuil avec une telle justesse que j'ai reconnu mes propres gestes, réactions et pensées.
Comme percé à jour dans la plus universelle des intimités.

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