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Critique de Pecosa


Juan Hiram Gutiérrez a appartenu à un réseau clandestin argentin. Quand la répression d'état s'est accentuée, les membres de son réseau ont été capturés, torturés et assassinés par les escadrons de la mort de la Triple A. L'Amérique du sud étant devenue sous la houlette de la CIA une gigantesque souricière, Gutiérrez est parvenu à s'enfuir en Espagne. Là il a pris pour nom Carles Ripoll, a travaillé comme ouvrier anonyme au milieu d'autres réfugiés échoués à Barcelone, puis comme conseiller politique profitant du capitalisme triomphant des années 80, aux cours desquelles il a pondu un best-seller au titre évocateur, « L'Art d'être un Gros Pourri et de réussir en politique ».
C'est en 2012 que son destin bascule de nouveau lorsque des messages sur Facebook l'informent que l'on sait qui il est, et qu'il est prié de revenir à Buenos Aires où l'attendent d'anciens camarades. La vie de Gutiérrez/ Ripoll est dans une impasse. Malheureux, nostalgique, coupable d'être vivant alors que dans d'autres sont morts, il décide de rentrer.

Raúl Argemí est sans conteste l'un des grands noms du polar contemporain. Si la quatrième de couverture d'A Tombeau ouvert nous fait penser à L'Ombre de ce que nous avons été de Luis Sepúlveda, le lecteur se détache très vite de ce souvenir pour plonger dans cet excellent roman noir qui restitue l'extrême violence de la dictature argentine.
Gutiérrez/ Ripoll a échappé au pire, reconstruit sa vie en Europe, tenté d'oublier un passé noir comme le souvenir, pour paraphraser Mocky. Il a vécu l'Argentine par procuration via les journaux, les mondiaux de foot, la guerre des Malouines… essayé de comprendre tant bien que mal son nouveau pays d'adoption:
« En bas, ça s'appelait la movida madrilène. En haut, la monarchie, la transition vers la démocratie l'oubli des meurtres de Franco participaient aussi à la fête. Au milieu régnait un drôle de mélange. Il y avait ceux qui osaient dire qu'on vivait mieux sous Franco, et qu'il y avait plus de moralité, et ceux qui voyaient le destape et sa prolifération de salles de porno hard en live comme un modernisation. Tout n'était que réjouissance dans un pays qui accusait un demi-siècle de retard par rapport à l'Europe et à l'Occident en général. Un pays dont quelqu'un avait dit, pour définir la transition: nous avons troqué l'âne et le béret contre la moto et le casque. »

Portrait implacable d'un exilé désabusé qui file « à tombeau ouvert » vers les emmerdements et la violence, le roman construit sur les flash-back est aussi le bilan d'une vie façonnée par la dictature, la radiographie d'une époque révolue où tous sont sortis perdants, ceux qui ont résisté, comme ceux qui ont collaboré. Qu'importent les faux noms, les fausses identités, les faux passeports, le passé se rappelle toujours à votre bon souvenir, et l'affronter chez Raúl Argemí, c'est aussi marcher avec la mort. Surtout lorsqu'on se définit soi même comme un "cul bénit" et que l'on veut expier ses fautes qui pèsent sur la conscience comme une chape de plomb.
Déstabilisant, violent et désespéré, A Tombeau ouvert est un roman noir comme on les aime. Avec du style et beaucoup d'ironie.
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