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Critique de Elforest


La flèche brisée - de son titre original « Blood Brother » - est un roman historique relatant l'épopée de Cochise et surtout l'amitié véridique qui le lia à Thomas Jonathan Jeffords. Avec en toile de fonds, la lente colonisation du sud-est de l'Arizona par les pionniers américains ainsi que les guerres apaches, des années 1850 à la mort de Cochise en 1874.

J'ai commencé ma lecture avec une petite appréhension, en me demandant à quel point ce roman serait objectif et documenté. Doutes vite dissipés grâce à la préface et surtout à l'avertissement de l'auteur qui explique avoir mis un point d'honneur à écrire son roman sur des bases historiques solides. Documents historiques et biographiques, compte-rendus des intéressés eux-mêmes, témoignages de ceux les ayant côtoyés, spécialistes de l'Arizona et des Apaches Chiricahuas etc. En effet, ces efforts se ressentent à la lecture. Une bonne moitié du livre est consacrée à l'exposition du contexte et des protagonistes, prélude à la rencontre entre les deux hommes. Elle permet de se faire une idée de l'évolution graduelle de la région et des guerres apaches : mise en place des relais de diligences, des forts militaires, du développement de Tucson, des rapports avec le Mexique, de la géographie du pays apache ainsi que de la fameuse affaire Bascom aux si fâcheuses conséquences… Elle permet aussi à l'auteur de prendre son temps pour exposer la psychologie des personnages - principaux comme fictifs - mais en mettant l'accent sur Cochise et Jeffords. La première partie est d'ailleurs consacrée à Cochise, la deuxième à Jeffords, la troisième à leur rencontre, la quatrième à leur serment en tant que frères de sang, la dernière à la fin de Cochise ; et d'un point de vue plus pragmatique à la gestion de la réserve des Chiricahuas. Rien de remarquable à dire sur le style – ou du moins la traduction – à part qu'il est simple et fluide. Ce roman s'illustre davantage par le fond que par la forme.

J'ai passé un très bon moment de lecture même si je dois avouer qu'il est en grande partie dû à la personnalité de Cochise et par la suite à l'amitié indéfectible entre lui et Jeffords. Mais oui, j'ai eu dès le début un faible pour le chef chiricahua, magnétique et torturé par ses doutes pour qui la loyauté et le sens de l'honneur sont vertus primordiales. Dotée d'une belle intériorité, elle prend de plus en plus d'ampleur au fil des événements et donne naissance à des réflexions méditatives sur la mort et le destin :

« L'homme marche sans cesse vers sa mort qui est sans doute le moment le plus important de sa vie »

Alors certes, il s'agit d'une personnalité mi-imaginée mi-reconstituée à partir d'éléments – et parfois de dialogues - réels pour les besoins du récit mais je l'ai trouvée particulièrement réussie. Grand guerrier et fin stratège, il est néanmoins particulièrement conscient de la fragilité de son peuple face à l'envahisseur blanc et souhaiterait au fond pouvoir faire une paix honorable, objectif qui lui semble pendant longtemps chimérique. Rentre ensuite en scène Jeffords, personnage aux métiers variés (prospecteur, éclaireur, responsable de la poste à Tucson), mais dont les valeurs s'accordent parfaitement à celles de Cochise. Ce qui va créer l'alchimie à l'origine du lien fraternel qui les liera jusqu'à la mort du chef apache. C'est d'ailleurs au moment de leur rencontre que mon rythme de lecture s'est accéléré. Captivée que j'étais par la retenue impassible derrière laquelle se cachaient l'empathie et l'admiration qu'ils ont d'emblée l'un pour l'autre. Relation libératrice, elle culmine lors du serment qui fera d'eux des frères de sang. Elle sera également un tremplin pour la paix entre Chiricahuas et Américains lorsque Jeffords se fera l'intermédiaire de confiance entre Cochise et le général Howard ; dont le commun accord mettra fin aux hostilités. Chrétien, la foi chevillée au corps et la bible toujours à portée de main, ce général m'a semblé être parfois présenté, dans ses propos et ses attitudes comme une figure à la sagesse vaguement christique et empreinte de mysticisme exalté. Scellée avec les meilleures intentions et se soldant par la création d'une réserve pour les Chiricahuas sur leurs terres ancestrales, le roman présente par la suite les conséquences peu reluisantes de cette paix et de la vie indigne en réserve. Dues aux prises de décisions cyniques de l'administration américaine. Invitant ainsi à la réflexion : Choisir la vie en réserve était-il le bon choix ? le roman se garde bien de trancher.

D'autres personnages gravitent régulièrement autour de Jeffords, fictifs ceux-là. Figures féminines, je me suis demandé si l'auteur ne les avait pas greffées au récit pour incarner une éventuelle lutte intérieure de Jeffords, tiraillé entre le monde d'où il provient et ce vers quoi l'attirent ses conceptions personnelles. Ce n'était pas une mauvaise initiative mais j'ai personnellement trouvée qu'elle aurait pu être mieux exécutée. Basé sur des propos du vrai Jeffords révélant qu'il avait été intimement lié à une indienne, le personnage de la jeune Sonseeahray est – bien que d'une naïveté parfois agaçante – plutôt réussi. Sa personnalité lumineuse et rêveuse apporte un petit plus au roman. J'ai par contre beaucoup moins adhéré au personnage de la jeune américaine Terry. D'abord curieuse, j'ai vite trouvé qu'elle manquait de cohérence dans ses propos et sa psychologie et qu'elle était très mal assortie à Jeffords. Agaçante donc mais pour d'autres raisons, j'ai fini par lire les passages où elle apparaissait avec une totale indifférence. En me demandant tout de même à chaque fois « Mais qu'apporte-elle à l'histoire ? »; et sans me départir de l'impression qu'elle y rentrait au chausse-pied. La description de sa gestuelle même a mal vieillie tant elle m'a fait pensé au jeu désuet des anciennes actrices américaines. C'est mon seul bémol : un personnage mal exploité dont l'absence n'aurait rien changé.

Un très beau roman donc, avec – à mon sens – un parti pris assez évident au profit des indiens. Doté de belles pistes de réflexions sur la tolérance et la fraternité, sur le destin et la mort. Très documenté, il est en plus instructif ; et fait partie à mon avis des romans qu'il peut être intéressant d'avoir lu quand on s'intéresse à cette période historique et aux destins des nations indiennes aux Etats-Unis.
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