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Critique de ChatDuCheshire


Découvert ce livre juste après la sortie de son édition originale anglaise (et lu dans cette langue donc, la traduction française n'étant pas encore disponible, Actes Sud a annoncé 2018) bien en évidence sur la table des nouveautés d'une librairie anglophone bruxelloise alors que j'attendais une amie pour aller dîner au restau d'en face. Une découverte de l'existence de ce livre somme toute très austérienne car le complet fruit du hasard. En effet si j'ai pas mal lu Auster il y a quelques années, j'ai un peu décroché récemment et n'avais aucune idée que ce livre était sorti et était visiblement très attendu (d'après de que j'ai pu glâner sur internet après son achat).
Certains décrivent ce livre comme son "chef-d'oeuvre". Je serais plus réservée car je préfère le Paul Auster des oeuvres plus anciennes, où sa "petite musique du hasard" s'alliait à une sorte de poésie confinant au fantastique. Les livres plus récents d'Auster m'ont moins emballée car si sa petite musique y est toujours présente, sa narration est devenue simplement réaliste et ce livre-ci n'y fait pas exception.
Cependant je comprends par ailleurs ceux qui y voient un livre majeur dans l'oeuvre d'Auster. Car il s'agit sans doute de son bouquin le plus personnel et, au surplus, sorti alors qu'il célèbre ses 70 ans, sans doute un livre "bilan", en quelque sorte.
J'ai lu quelque part qu'Auster était sorti "épuisé" de son écriture. Ca se comprend car "la bête" est i m p r e s i o n n a n t e, 866 pages d'un format assez grand et couvertes de caractères relativement petits pour une édition originale "harcover". L'édition française dépassera sans nul doute allègrement les 900 pages.
Une telle longueur, vraiment inhabituelle chez Auster, s'explique par le fait que ce livre est un "4 en 1" car il s'agit de raconter la vie d'un certain Archibald ("Archie") Isaac Ferguson (ou plutôt sa jeunesse, de sa naissance à l'âge de 23 ans) en quatre versions différentes. Il s'agit bien du même personnage entouré de la même famille mais un événement affectera son père dans sa petite enfance qui changera le cours de son existence. le père, doté d'un certain esprit d'entreprise mais, malheureusement pour lui, également encombré de deux frères "parasites", ouvre un magasin d'appareils ménagers. Dans la première vie d'Archie le magasin de son père est le théâtre d'un cambriolage orchestré par ses deux frères en manque d'argent. Dans la seconde vie d'Archie le magasin part en fumée à la suite d'un incendie provoqué par ses frères. Dans la troisième vie d'Archie, la même chose se passe que dans la seconde sauf - détail capital - que son père meurt dans l'incendie en question. Enfin dans la quatrième vie d'Archie, tout se passe bien du moins en ce qui concerne les affaires de son père rapidement débarrassé de ses frères toxiques.
Partant de ces prémisses, la vie d'Archie va prendre des orientations forcément très différentes, qu'il s'agisse des lieux où il va grandir, de l'évolution de ses parents et en particulier de sa mère (qui survit dans les quatre versions) rejaillissant sur lui, des écoles et universités qu'il va fréquenter, des amitiés et amours nouées etc. Toutefois il y aura deux constantes quel que soit l'Archie considéré : son attachement pour une certaine Amy et sa prédisposition pour l'écriture...
Comme je le disais il s'agit indubitablement de l'oeuvre d'Auster la plus inspirée par sa propre jeunesse. Comme Auster Archie est né en 1947 de parents juifs dans le New Jersey. Comme Auster ses Archie (à une intéressante exception près) vivront la vie de banlieusards aspirant à rejoindre New York pour y vivre la vie trépidante du citadin immergé dans la culture. Comme Auster, ses Archie passeront des périodes de leur jeunesse en France. Certaines anecdotes (j'ai lu ça ensuite dans des interviews) ou événements jalonnant l'enfance de ses Archie sont également inspirés de faits vécus par Auster (notamment lors de ses camps de vacances d'été). Le plus pénible pour un européen continental est que comme Auster ses Archie sont passionnés par le baseball. Il s'agit là d'un tic de plus en plus omniprésent, me semble-t-il, dans les bouquins d'Auster et, franchement, on baille profondément lorsqu'il consacre des pages à narrer les exploits d'obscurs héros baseballeurs des années 30 aux années 60 et on s'empresse de sauter le passage... Heureusement le décrochage des phases baseball ne nuit pas à la lecture et à la compréhension du reste (du moins je l'espère)....
Un conseil : n'entamez pas la lecture de ce livre si vous n'êtes pas sûr de pouvoir vous libérer des périodes de lecture significatives et rapprochées s'étirant sur plusieurs semaines. En d'autres termes il est à mon sens impossible d'en entamer la lecture, de le poser quelques jours et de le reprendre ensuite. La narration parallèle de l'histoire des quatre Archie n'est pas des plus aisées à suivre, d'autant plus que les différences de parcours entre eux sont parfois assez subtiles. Au début je me suis demandée si je ne devrais pas établir des fiches résumant l'histoire de chacun des Archie afin de ne pas tout mélanger (la structure est celles de chapitres se subdivisant en sous-chapitres pour chacun des Archies, on passe donc constamment de la vie de l'un à celle des autres). Puis je me suis dit que le mieux était probablement de me "laisser aller" et que, de toute façon, s'il s'avérait nécessaire de faire des fiches cela voudrait dire qu'il s'agit d'un mauvais bouquin. Mon intuition a été la bonne car une fois que l'on a pu passer les deux premières chapitres on s'habitue au mode de narration et que si l'on mélange probablement un peu cela ne prend pas des proportions gênantes et, après, tout il s'agit bien du même personnage en quatre déclinaisons. Il faut dire que la tâche se trouve au surplus facilitée du fait de la disparition très rapide (malheureusement pour lui) de l'un des quatre Archie (dès le second chapitre), ce qui nous laisse trois Archie pour l'essentiel du bouquin et, perso, j'ai trouvé trois Archie beaucoup plus gérables que quatre.
Au final quelle appréciation ?
Personnellement je regretterai sans doute toujours les oeuvres plus anciennes d'Auster. Ce bémol étant fait il s'agit d'un bouquin plus que "solide" et qui dépasse de très loin en qualité la plupart des livres sortis (trop rapidement et trop aisément encensés) aujourd'hui. Evidemment cette nouvelle variation sur la petite musique du hasard, qu'Auster a lui-même popularisée, ne surprend plus aujourd'hui (du moins si on a déjà lu du Auster) mais que l'auteur se l'applique désormais à ce point à lui-même ne manquera pas d'intéresser ses fidèles lecteurs. Quant à ceux qui ne le connaissent pas encore, il seront probablement impressionnés. Pour ma part, sans être totalement convaincue je suis contente de l'avoir lu. Au-delà de l'histoire d'Archie d'ailleurs j'ai particulièrement apprécié le récit des faits historiques (les années 60 contestataires, révélatrices d'une crise dont on dirait que celle-ci n'a jamais cessé depuis, personnellement je ne savais pas que les prémisses de notre "mal" actuel remontaient au-delà des années 70; à en croire le récit d'Auster il semblerait bien pourtant que ce soit le cas) accompagnant la petite histoire d'Archie. A ce niveau Auster, qui a connu l'époque mais qui a aussi pris le soin d'une recherche historique soigneuse - contrairement à pas mal d'auteurs plus jeunes -, nous distille une autre petite musique, celle du caractère circulaire de l'histoire et que, sans nul doute, notre époque gagnerait beaucoup à se réintéresser au passé pour en tirer les leçons appropriées...
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