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Critique de cprevost


Alain Badiou souhaite partager avec nous son bonheur d'intellectuel. Il montre dans cette plaquette l'Homme qu'il est. le philosophe nous invite à un examen rétrospectif de son parcours novateur et heureux. Il dévoile aussi ici ses projets. le souffle court, pensant avec ou contre Alain Badiou, à la faveur de cette lecture « métaphysique», nous partageons indéniablement un intense moment de « bonheur réel ». Certes, la pente philosophique est rude mais l'auteur nous a prévenus, suivant les traces de Platon et Spinoza, le bonheur et l'accès aux vérités nécessitent d'emprunter les passages escarpés des mathématiques et de la logique. le sentier est aussi passablement encombré, il faut dégager, par le raisonnement plutôt que par le rêve, le réel du bonheur de son médiocre semblant la satisfaction résultant de la délétère conformité des intérêts de l'individu avec le monde qui lui est imposé. Pour passer par là, comme notre guide, il faut nécessairement mouiller sa chemise, ralentir sa pensée, se révolter et prendre des risques.


Alain Badiou donne envie de sa philosophie et envie de philosopher. Il replace sa pensée dans le grand et passionnant tourbillon de la modernité. La phénoménologie, l'herméneutique, les courants analytiques et post modernes, pour mieux s'y opposer, sont synthétiquement évoqués dans son dernier livre. le platonicien critique du sens commun et du régime de l'opinion, le bâtisseur de systèmes, contre une philosophie contemporaine du sens et du langage qui interprète le monde sans le changer, réaffirme naturellement la nécessité d'une métaphysique de la vérité. Il fait plus étonnamment une place dans son ouvrage à l'antiphilosophie pour laquelle la vérité existe mais doit être rencontrée plus que pensée ou construite. Et c'est avec elle que l'auteur introduit la théorie badiousienne de l'évènement. Pour l'antiphilosophe comme pour Badiou, le bonheur réel est subordonné aux rencontres hasardeuses qui nous somment de choisir. Un sujet nait dans ces rencontres incalculables d'un possible ignoré à quoi se noue un devenir-sujet. Devenir sujet d'une vérité, martèle le philosophe contre le conservatisme ambiant, est une chance que l'existence nous propose dans la modalité d'une rencontre ; et c'est l'affect qui l'accompagne, au-delà de toute satisfaction des besoins, qui mérite le nom de bonheur.


La théorie de l'évènement est assurément d'une très grande complexité. Alain Badiou évidemment n'expose pas, en quelques pages, la matière extrêmement dense, mathématique de ses travaux (« L'être et l'évènement » et « Logique des mondes »). Dans cette « Métaphysique du bonheur réel », il préfère le plus souvent – notamment lorsqu'il est question de changer le monde pour être heureux – « illustrer» avec beaucoup de simplicité et de générosité et rythmer agréablement de quelques sentences sur le bonheur, les catégories badiousiennes de l'être, de l'évènement, du sujet et de la fidélité. L'évènement, nous dit-il, c'est le nom de quelque chose qui se produit localement dans le monde et qui ne peut être déduit de ce même monde. La force d'un évènement, c'est qu'il expose quelque chose qui était cachée, invisible parce que masquée par les lois de ce monde. L'être – énigmatiques multiples inorganisés – affirme-t-il enfin, peut être interrompu par un évènement. Exposé à un évènement, l'individu se transforme en sujet, c'est-à-dire qu'il encourt un processus de subjectivation sous condition de l'évènement qui implique de sa part une décision d'y demeurer fidèle. Jusque-là, il est possible de suivre la pensée de l'auteur sans trop de difficultés. Il est cependant question dans un dernier chapitre de la philosophie « hors sol » de l'auteur et des problèmes en suspens. Alors, la grande complexité de la machine badiousienne fait surface et il arrive de perdre pied sans pouvoir vraiment dire ici si le formalisme du philosophe est utile et s'il est nécessaire. C'est certes un inconvénient de cette fin de parcours ; ce peut être un avantage car cela nous donne envie de travailler, d'aller voir. Certains livres comme celui-ci nous confrontent à une altérité forte, nous convient à une expérience de pensée. L'intérêt alors ne vient plus de ce que nous savons, mais de ce que nous sommes susceptibles d'apprendre.


Alain Badiou, en conclusion de son livre, à contrecourant du scepticisme contemporain, du relativisme culturel et de la rhétorique généralisée, affirme que la philosophie est un exercice possible de transmission du concept de vérité et de celui d'incorporation d'un individu au devenir d'une vérité. Il y a certes, nous dit-il, des procédures de vérité distinctes dans le domaine de la politique, de la science, des Arts et de l'Amour. Mais une vérité des vérités, c'est-à-dire une vérité de la vie complète, une philosophie unificatrice générale des choses est possible pour une autre raison qu'elle serait une rhétorique générale. Pour Alain Badiou, la philosophie doit repérer les vérités de son temps à travers un concept renouvelé de ce qu'est une vérité (discernements) et, à travers la construction d'une catégorie de vérité, elle doit rendre compossible des régimes hétérogènes de vérité (unification). le discernement doit aboutir à une conception critique de ce qui est vrai et de ce qui ne l'est pas ; l'unification permettre les différents usages de la catégorie de totalité et de système.
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