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Critique de SZRAMOWO


Après avoir lu les Trois saisons de la rage de Victor Cohen Hadria (http://www.babelio.com/livres/Cohen-Hadria-Les-trois-saisons-de-la-rage/191149/critiques/886129) j'ai éprouvé le besoin de relire Un médecin de campagne, d'Honoré de Balzac.
Le thème de ces deux romans est quasi identique, seule différence, notable, Cohen Hadria est un auteur actuel qui explore un siècle passé, alors que Balzac est contemporain de l'histoire qu'il raconte.
Beaucoup de critiques, de spécialistes De Balzac, s'accordent à dire que le Médecin de campagne est un roman pré-balzacien. L'un des premiers écrits par l'auteur de la Comédie Humaine qui ne présente ni le style achevé, ni les subtils ressorts de narration qui enchanteront les lecteurs.
Le médecin de campagne est un roman initiatique. Les échafaudages de sa construction sont encore visibles. Mais cela n'est pas pour déplaire.
Le propos est précis et argumenté, emprunte par moment le ton d'un essai ou d'un manuel d'économie, tant les mécanismes économiques et sociaux décrits prennent parfois le pas sur la psychologie des personnages. le texte ressemble, bieN avant l'heure, aux écrits de Böhm-Bawerk et à ses fameux détours de production, et montre à quel point Balzac se documentait sur les sujets dont il faisait ensuite la matière de ses romans.
Le récit n'est en fait qu'un dialogue entre deux hommes, le docteur Benassis établi dans une commune rurale d'un fond de vallée du massif de la Grande Chartreuse et l'ancien chef d'escadron Pierre-Joseph Genestas, qui se présente à Benassis comme Pierre Bluteau capitaine à Grenoble.
Les deux hommes ont leurs manies et leurs secrets. Ils vont apprendre à se connaître et à s'apprivoiser.
«Quittant la conversation banale qu'il avait engagée, le commandant dit au médecin : – Comment avez-vous fait, monsieur, pour tripler en dix ans la population de cette vallée où vous aviez trouvé sept cents âmes, et qui, dites-vous, en compte aujourd'hui plus de deux mille ?»
Le bon docteur Benassis décrit à son hôte, la façon dont il a crée les conditions du développement économique local de cette vallée sinistrée de la vallée de la Maurienne, comment il incita certains paysans à se transformer en producteurs d'osiers ou en éleveurs pour produire le cuir qui, vendu à des artisans, leur permettra de fabriquer les chaussures de la communauté, d'être rémunéré pour cela et à leur tour d'acheter la production d'autres acteurs économiques : maraîchers, boulangers, bouchers, d'inciter les autorités à construire des routes et des équipements.
«Vous allez peut-être rire de mon début, monsieur, reprit le médecin après une pause. J'ai commencé cette oeuvre difficile par une fabrique de paniers. Ces pauvres gens achetaient à Grenoble leurs clayons à fromages et les vanneries indispensables à leur misérable commerce. Je donnai l'idée à un jeune homme intelligent de prendre à ferme, le long du torrent, une grande portion de terrain que les alluvions enrichissent annuellement, et où l'osier devait très bien venir. Après avoir supputé la quantité de vanneries consommées par le canton, j'allai dénicher à Grenoble quelque jeune ouvrier sans ressource pécuniaire, habile travailleur. (...) Je lui persuadai de vendre ses paniers au-dessous des prix de Grenoble, tout en les fabriquant mieux.»
«Tout en aidant le planteur d'oseraies et le faiseur de paniers, tout en construisant ma route, je continuais insensiblement mon oeuvre. J'eus deux chevaux, le marchand de bois, mon adjoint, en avait trois, il ne pouvait les faire ferrer qu'à Grenoble quand il y allait, j'engageai donc un maréchal-ferrant, qui connaissait un peu l'art vétérinaire, à venir ici en lui promettant beaucoup d'ouvrage.»
«La chaussure est une de ces consommations qui ne s'arrêtent jamais, une fabrication dont le moindre avantage est promptement apprécié par le consommateur. J'ai eu le bonheur de ne pas me tromper, monsieur. Aujourd'hui nous avons cinq tanneries, elles emploient tous les cuirs du Département (...) je lui proposai de se fixer dans le bourg en lui promettant de favoriser son industrie de tous mes moyens, et je mis en effet à sa disposition une assez forte somme d'argent. Il accepta. J'avais mes idées. Nos cuirs s'étaient améliorés, nous pouvions dans un certain temps les consommer nous-mêmes en fabriquant des chaussures à des prix modérés.»
«Alors vinrent s'établir ici douze autres ménages dont les chefs étaient travailleurs, producteurs et consommateurs : maçons, charpentiers, couvreurs, menuisiers, serruriers, vitriers qui avaient de la besogne pour longtemps ; ne devaient-ils pas se construire leurs maisons après avoir bâti celles des autres ? n'amenaient-ils pas des ouvriers avec eux ?»
Le docteur Benassis est un philanthrope, qui n'exerce sa fonction de maire que dans le but de servir ses concitoyens, ce qui ne manque pas d'étonner le vieux militaire :
«Genestas mit une interrogation si visible dans l'air de sa physionomie et dans son geste, que le médecin lui raconta, tout en marchant, l'histoire annoncée par ce début.
- Monsieur, quand je vins m'établir ici, je trouvai dans cette partie du canton une douzaine de crétins, dit le médecin en se retournant pour montrer à l'officier les maisons ruinées. La situation de ce hameau dans un fond sans courant d'air, près du torrent dont l'eau provient des neiges fondues, privé des bienfaits du soleil, qui n'éclaire que le sommet de la montagne, tout y favorise la propagation de cette affreuse maladie.»
Je promis donc de laisser le crétin en paix dans sa maison, à la condition que personne n'en approcherait, que les familles de ce village passeraient l'eau et viendraient loger au bourg dans des maisons neuves que je me chargeai de construire en y joignant des terres dont le prix plus tard devait m'être remboursé par la Commune. Eh ! bien, mon cher monsieur, il me fallut six mois pour vaincre les résistances que rencontra l'exécution de ce marché, quelque avantageux qu'il fût aux familles de ce village.»
L'action de Benassis vise l'amélioration de tous les secteurs d'activité, mais aussi celle des conditions sanitaires de la population :
Assainissement :
«J'enrichis l'avenir de la Commune en plantant une double rangée de peupliers le long de chaque fossé latéral.»
Bien-être animal et qualité des productions :
Des soins accordés aux bestiaux dépend la beauté des races et des individus, partant celle des produits ; je prêchai donc l'assainissement des étables. Par la comparaison du profit que rend une bête bien logée, bien pansée, avec le maigre rapport d'un bétail mal soigné, je fis insensiblement changer le régime des bestiaux de la Commune : pas une bête ne souffrit. Les vaches et les boeufs furent pansés comme ils le sont en Suisse et en Auvergne. Les bergeries, les écuries, les vacheries, les laiteries, les granges se rebâtirent sur le modèle de mes constructions et de celles de monsieur Gravier qui sont vastes, bien aérées, par conséquent salubres.
Cette pensée a toujours déterminé les États sans base territoriale, comme Tyr, Carthage, Venise, la Hollande et l'Angleterre, à s'emparer du commerce de transport. Je cherchai pour notre petite sphère une pensée analogue, afin d'y créer un troisième âge commercial.
Genestas ne comprend pas les motivations du bon docteur :
– Monsieur, lui dit-il, vous avez une âme vraiment citoyenne, et je m'étonne qu'après avoir accompli tant de choses, vous n'ayez pas tenté d'éclairer le gouvernement.
Benassis se mit à rire, mais doucement et d'un air triste.
– Écrire quelque mémoire sur les moyens de civiliser la France, n'est-ce pas ? Avant vous, monsieur Gravier me l'avait dit, monsieur. Hélas ! on n'éclaire pas un gouvernement, et, de tous les gouvernements, le moins susceptible d'être éclairé est celui qui croit répandre des lumières.

C'est seulement à la fin du roman que Bluteau/Genestas livrera son secret à Benassis :
La campagne de Russie
Une jeune juive de Pologne
La félonie de son aide de camp Renard
L'enfant dont il hérite de la charge
La recherche d'un médecin digne de confiance.

Un roman à découvrir pour ceux qui ne le connaissent pas, à redécouvrir pour les autres.
Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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