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Critique de AMR_La_Pirate


Quand on entreprend la lecture chronologique de la Comédie humaine De Balzac, on découvre des textes très peu connus, dont on ne parle pas… Modeste Mignon en fait partie.

J'ai entamé ce livre sans savoir à quoi m'attendre et j'ai retrouvé avec bonheur les descriptions et les longueurs balzaciennes dont je ne me lasse pas. L'intrigue met un certain temps à se mettre en place et évolue doucement mais crescendo dans « un tableau de moeurs » très détaillé.
Au début, il est question de tendre un piège à une jeune fille de la bonne société du Havre que l'on pense amoureuse et de la remettre ainsi dans le droit chemin de la vertu mais il n'y a pas de prétendant en vue puisque la jeune Modeste Mignon, telle Mme Bovary, fonde ses émois et trouve son bonheur dans la lecture ; la « comédie de la jeune fille mal gardée » devient alors assez originale. Elle ne reçoit pas de visite galante mais entretient une correspondance avec un poète parisien dont elle admire les écrits ; Canalis, accablés de lettres d'admiratrices en délègue le suivi à son secrétaire, Ernest de la Brière, qui, tel Cyrano, va répondre à Modeste à la place du poète et succomber à son charme.
Canalis est un arriviste et un tricheur qui utilise les femmes pour assouvir ses ambitions, politiques notamment ; il y a un énorme décalage entre sa poésie, son réel talent littéraire et ses manières et son caractère : c'est « un petit ambitieux, serré dans son frac, à tournure de diplomate, rêvant une influence politique, aristocrate à en puer, musqué, prétentieux, ayant soif d'une fortune afin de posséder la rente nécessaire à son ambition, déjà gâté par le succès sous sa double forme : la couronne de laurier et la couronne de myrte ». Au contraire, Ernest est sérieux et modeste, très effacé auprès de son patron et ami.
Un troisième prétendant va bientôt entrer dans la danse, le duc d'Hérouville, un jeune pair de France pauvre dont la famille aimerait bien lui voir faire un riche mariage…
Enfin, il y a le personnage que je préfère mais qui ne compte pas, le véritable amoureux de Modeste mais sans le moindre espoir, toujours dévoué corps et âme malgré tout, malgré son handicap et sa condition… Je veux parler de Jean Butscha, un simple clerc de notaire, nain et bossu ; il introduit une part de malice dans de nombreuses scènes du récit. Balzac en fait le gardien fidèle et le protecteur vigilant de Modeste ; sous sa plume, il devient un être magnétique, spirituel et supérieur.
Naturellement il va être question de dot, de rentes, de titres de noblesse et de situations toutes plus enviables et enviées les unes que les autres, d « 'une petite guerre excessivement amusante par ses marches, ses contremarches, ses stratagèmes »… Modeste va devoir choisir, mettre ses trois amants en concurrence, suivre son coeur ou penser à ses intérêts ; son parcours sera jalonné de longues tergiversations que le lecteur aura parfois du mal à suivre et à comprendre.

Le personnage éponyme, Modeste Mignon, est très complexe. Balzac nous propose un beau portrait de femme, pleine de contradictions, agaçante parfois, vivant « une existence double » entre vie réelle et vie idéale.
Au début du roman, elle apparaît comme une jeune fille exaltée qui vit sa vie par procuration dans la lecture, puis au fur et à mesure des échanges de lettres, elle développe une certaine malignité qui la rend beaucoup plus intéressante. D'abord, victime de sa condition de cadette dont la soeur aînée est morte d'un chagrin d'amour et donc surprotégée par les siens, elle revendique un grand désir de liberté, que la richesse, réelle ou supposée de sa famille, que sa jeunesse et son exceptionnelle beauté lui permettent car Balzac la propulse à une place à la fois improbable pour son époque et particulièrement originale pour son roman ; il inverse les rôles en lui donnant le choix et les moyens de le faire.
Je retrouve avec enchantement ce Balzac féministe qui met en avant un personnage féminin qui veut dévider et résoudre « la charade de [son] avenir ».
Encore une fois, il véhicule les valeurs qui lui sont chères, dont la famille : « à quelque hauteur qu'une femme se soit élevée par la poésie secrète de ses rêves, elle doit sacrifier ses supériorités sur l'autel de la famille ». Il avait également foi en la monarchie ; ce roman se passe d'ailleurs pendant la Restauration, sous le règne de Charles X, et se termine métaphoriquement au cours d'une partie de chasse particulièrement mémorable, menée comme une bataille, dans un faste finement étudié. le mariage final, dont je ne dévoilerai rien, sera magnifiquement entériné par la Cour Royale.

Comme souvent, j'ai trouvé certaines parties de ce roman transposables à notre époque avec un jeu épistolaire qui s'apparente à celui des échanges sur les réseaux sociaux où il est aisé de créer des faux profils, quand Modeste devient « O. d'Este-M ». de plus, Modeste veut mener sa vie, être aimée pour elle-même et non pas pour sa fortune ; elle revendique une forme d'émancipation très moderne.
Balzac s'est sans doute inspiré de sa propre expérience et des lettres de lectrices que lui-même recevait, notamment de Mme Hanska… La dédicace « à une étrangère » me fait beaucoup pencher pour cette théorie.
Il se réfère souvent dans son récit à des romans épistolaires célèbres comme Clarisse Harlowe de Richardson et La Nouvelle Héloïse de Rousseau. Il relève les défauts de longueurs de telles oeuvres en feignant de ne pas y tomber lui-même, avouant avoir supprimé un certain nombre de lettres dans son manuscrit. La partie épistolaire ne sert ici que de preuve de la sincérité de l'avant-scène à ce que Balzac appelle un « drame domestique » ; la seconde partie du roman tranche d'ailleurs beaucoup avec la correspondance qui l'a précédée.

Modeste Mignon est un excellent roman qui mérite d'être remis en lumière. Il fait partie de ces pépites balzaciennes que je prends plaisir à découvrir. Certes, c'est un peu long, mais savoureux.
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