Waouh, quel roman !!! Saga de deux familles juives autrichiennes des années 1930 à l'après 2e guerre mondiale.
Roman en trois parties : l'avant-guerre à Vienne, l'errance au moment de la déclaration de guerre, l'exil à Sosùa (la moitié du roman).
Deux familles juives bourgeoises (dont l'une très riche), cultivées, peu religieuses et parfaitement intégrées dans la société viennoise, s'unissent au milieu des années 1930. Mais la montée de l'idéologie nazie de l'autre côté de la frontière ranime et attise un antisémitisme virulent qui gangrène Vienne, avec, pour point d'orgue, l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne. La jeune génération des deux familles précitées décide de fuir. Myriam et Aaron sont déjà partis s'installer aux USA avant que ceux-ci décident de fermer leur pays aux réfugiés juifs allemands ; mais Almah et Wilhem s'y prennent trop tard.
Rejetés par des pays de plus en plus nombreux à fermer leurs frontières à ces réfugiés, ils n'auront d'autre choix, comme quelques-uns de leurs coreligionnaires, que d'accepter la proposition d'une organisation juive financée par des trusts américains : le projet d'installation d'un kibboutz (expérience toute nouvelle) en République Dominicaine sur des terres vendues par le dictateur Trujillo contre espèces sonnantes et trébuchantes et, Trujillo l'espère, une reconnaissance internationale…
Le groupe commence alors une longue errance en Suisse puis à travers le sud de la France (dans les camps de réfugiés espagnols), l'Espagne franquiste et, enfin Lisbonne où ils doivent embarquer, destination Ciudad Trujillo via Ellis Island où ils resteront en transit, étroitement surveillés.
Ils finiront par arriver à Sosùa, but de leur exil ; ils découvrent un camp sommaire, peuplé des quelques exilés qui les ont précédés et où tout est à construire et organiser…Catherine Bardon s'est inspirée de faits réels : « Il y a 25 ans, alors que je terminais mon enquête pour la rédaction du premier guide touristique français sur la République dominicaine, un pays qui m'avait littéralement envoûtée, un vieil homme m'invita dans sa maison de Sosúa. Fascinée par son récit, je restai suspendue à ses lèvres des heures durant, tandis qu'il me racontait son incroyable histoire. ‘'
Les déracinés'' est né de cette rencontre, un hommage à des pionniers, des hommes et des femmes courageux, un roman contre l'oubli. »
Le récit de l'expérience de ces colons est passionnant (la moitié du roman y est consacrée) : une société hétéroclite qui n'a d'autre choix que manifester une solidarité sans faille pour réussir le défi auquel elle est confrontée. « Nous sommes arrivés sans illusions et maintenant nous partageons un rêve ». Et, au lendemain de la guerre, nouveau choix pour ces exilés : rentrer en Europe où la plupart ont perdu toute leur famille dans les camps de concentration, s'installer aux USA ou d'autres pays d'Amérique du Sud pour ceux qui y ont de la famille déjà implantée, émigrer vers l'état d'Israël qui vient de voir le jour ou rester à Sosùa et prendre la nationalité dominicaine.
Seule ombre à mes yeux :
Catherine Bardon a un peu trop chargé la barque côté sentimental ; certes l'amour d'Almah et Wilhem est magnifique («Être avec elle, c'était vivre pleinement chaque minute, et un jour sans la voir était un jour vécu en vain. Elle était la pièce manquante du puzzle de ma vie, celle qui lui donnait tout son sens et sans laquelle l'image n'en aurait pas été lisible. ») ; mais méritait-il autant de développements au risque de tomber dans le pathos ou s'exposer à des situations répétitives souvent induites par le côté pusillanime occasionnel de Wil ?
Un épisode de l'Histoire méconnu, une épopée romanesque de la Vienne des années 1930 aux Caraïbes…
PS1 – Si voulez mettre des images sur ce roman : www.sosuamuseum.org, musée créé pour perpétuer le souvenir de Sosúa et de ceux qui s'y sont réfugiés pour échapper à la persécution nazie.