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Critique de motspourmots


Dans le cadre du mois anglais, j'ai eu très envie de relire ce roman au titre on ne peut plus à-propos et il s'avère que ce fut une excellente idée. England, England a été publié en Angleterre en 1998 et la traduction française en 2000 ; j'avais toujours en mémoire le fil rouge de l'intrigue sur lequel je vais revenir et l'humour qui sous-tend l'ensemble mais j'ai redécouvert des facettes qui m'avaient sans doute échappé à l'époque, ou auxquelles j'étais tout simplement moins sensible. J'avais gardé à l'esprit la légèreté alors que ce roman est tout en profondeur. Sous l'humour apparent se cache une réflexion un peu nostalgique sur la mémoire, ce qui forge une histoire, un souvenir... et qui annonce déjà la tonalité de ses derniers écrits, vingt ans plus tard. Je ne regrette pas cette nouvelle lecture.

"Le passé n'est jamais seulement le passé, c'est aussi ce qui a rendu le présent capable de vivre avec lui-même".

Toute sa vie, Martha Cochrane confrontera le présent à ses souvenirs et se demandera si elle est en phase avec l'avenir qu'elle s'était imaginé, si c'est bien elle qui a façonné son parcours ou si elle s'est contentée de suivre le vent. En attendant, à 39 ans, la voilà recrutée par Jack Pitman, un milliardaire excentrique, dans l'équipe chargée de mettre en oeuvre son dernier projet quelque peu mégalomane. L'île de Wight doit être transformée en une sorte de parc d'attraction rassemblant ce qu'il y a de plus typique en Angleterre ; et permettre ainsi aux touristes un divertissement haut de gamme sans les tracas des distances ou des transports. Assister à la relève de la garde devant Buckingham Palace en fin de matinée et visiter Stohnehenge dans la foulée, en passant par la forêt de Sherwood et les falaises de Douvres. Pour ce faire, une étude est commandée afin de déterminer les cinquante caractéristiques essentielles que les visiteurs devront retrouver sur le site. de la famille royale au jardinage, en passant par le système de classes, le cricket, Winston Churchill ou la tasse de thé, la liste est l'un des grands moments de ce roman qui servira de base à l'équipe pour mettre au point les différentes attractions pendant que Jack Pittman se charge des tractations administratives, financières et politiques qui devraient aboutir à l'indépendance de l'île de Wight et à son adhésion à l'Union Européenne. England, England est créée !

Nous y voilà, donc. Sous couvert de l'humour et de la farce, la réflexion sur la place de l'Angleterre dans le monde n'est pas loin. Julian Barnes trouve ici un moyen d'interroger ce qui fait la culture d'un pays, vaste mélange entre un héritage historique, des croyances populaires, habitudes gastronomiques, personnages et mythes forgés au fil des siècles ; ajoutons-y quelques egos, un poil de suffisance et de fierté, quelques gouttes de patriotisme. le regard de l'auteur sur ses compatriotes est tendre mais sans indulgence et ce qu'il met en lumière de l'esprit et du comportement anglais est vraiment très savoureux. Au passage, il ne manque pas d'égratigner la pratique du tourisme (et c'était il y a vingt ans, que dire aujourd'hui ?), ces hordes qui se satisfont très bien de répliques et ne se soucient pas de découvrir les originaux, monuments ou oeuvres d'art. le concept de cette reconstitution qui mêle les époques historiques, les images d'Epinal (Ah, le rouge-gorge dans la neige...) et les contes populaires montre bien l'évolution de cette industrie vers la facilité et les loisirs de masse. Et il pousse sa démonstration jusqu'au bout en se penchant sur le cas de la vieille Angleterre, dépouillée de toutes ses caractéristiques et donc de son intérêt touristique, délaissée au profit d'England, England en nous livrant une version inattendue de la décroissance que l'on ne lit pas tout à fait de la même façon en 2020 qu'en 2000.

Comme d'habitude avec Julian Barnes, le propos est d'une richesse infinie que ce soit dans l'exploration de la sphère intime (l'enfance et ses traces que l'on porte en nous toute notre vie) ou dans celle de la sphère politique et de ses modes de gouvernance. Et en plus, on s'amuse ! Même si on sent chez l'auteur un profond questionnement sur ce qui anime les hommes, une sorte de crainte qui plane sur la dernière partie et la teinte d'une élégante mélancolie.

"Qui dit que les êtres humains mûrissent de toute façon ? Peut-être qu'ils ne font que vieillir".
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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