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Critique de Antyryia



Une étrange épidémie semble se propager dans le monde entier.
"Trente-cinq nouveaux cas détectés aux Etats-Unis en quelques jour. Vingt en Angleterre."
Comment se propage cet étrange fléau ? Par l'air, le sang, la salive, les relations sexuelles ? Nul ne le sait. Comment s'en protéger dans ces conditions ?
D'autres cas se déclarent également en Afrique, et plus particulièrement au Bostwana. Un virus dévastateur qui semble croître à une vitesse exponentielle et qui laisse les médecins totalement démunis.
Les symptômes ? Ils sont variable d'un malade à un autre. Les victimes sont grandement amaigries, elles sont voûtées, brûlantes, tremblantes. Leurs diarrhées sont accompagnées d'inquiétants saignements, leurs yeux sont tâchés, des plaques rouges se forment sur leur torse, des ganglions apparaissent dans leur gorge ...
"Quelle maladie provoquait tout ça à la fois ?"
"Tous ces symptômes pouvaient être pris séparément mais il ne voyait pas le lien entre eux."
Leurs anticorps ne fonctionnent plus.
Autrement dit, ils sont tous condamnés à mort à plus ou moins brève échéance.

Encore un roman post-apocalyptique ? Un fléau que nul ne pourra enrayer comme dans le roman de Stephen King du même nom ?
A moins que les morts ne se relèvent et continuent ainsi de répandre le virus au sein de petits groupes de survivants qui tenteraient de s'organiser dans ce chaos ?
Presque.
Sauf qu'on n'est pas dans un roman fantastique ou de science-fiction.
Si je vous disais que cet étrange virus semble s'attaquer en premier lieu aux homosexuels ou aux drogués, avant de s'étendre à une plus large population ?
Si je vous parlais de LAV : le Lymphadénovirus ?
Enfin si je vous disais que le roman n'a rien de futuriste puisqu'il s'inspire de faits réels et qu'il se déroule en décembre 1982 ?
Les premiers cas du syndrome d'immunodéficience acquise, plus communément appelé Sida, continuent de se déclarer un peu partout dans le monde, y compris en France.

Donnant à son roman de vagues allures de thriller médical ( bon, on n'est pas non plus dans un Robin Cook ), Sarah Barukh nous entraîne dans cette période trouble de l'histoire. L'un de ces premiers cas français s'appelle Ali Benyoussef. Il est suivi depuis quelques mois déjà à l'hôpital Saint Louis de Paris mais en toute connaissance de cause, son praticien lui a pourtant diagnostiqué un simple ( si j'ose dire ) lymphome. Son dossier médical est minutieusement caché, son nom n'apparaît nulle part sur les registres. L'hôpital, sous couvert du ministère de la santé, souhaite à tout prix cacher ce cas zéro pour ne pas affoler la population. Il ne paraît pas souhaitable d'informer la population de l'hexagone que l'épidémie a fini par atteindre leurs frontières.
Quant aux différents médecins qui se rendront compte que ce patient souffre de maux bien plus sévères encore, qu'il a bel et bien tout les symptômes de cette maladie encore inconnue et impossible à soigner, on s'assurera de leur silence.
Pourquoi tant de manigances et de secrets ?
Qu'est-ce qui peut bien réellement motiver ce culte du non-dit, y compris dans les plus hautes sphères politiques ?
"Vous n'avez que votre vocation en tête. C'est une obsession ! Guérir, soigner ... Mais vous ne réfléchissez jamais aux enjeux derrière, et vous piégez la société en croyant la secourir."
Un peu d'action est donc au rendez-vous, puisque tous les praticiens qui oseront s'approcher du patient se mettront en danger non seulement physiquement mais également en défiant ainsi les plus hautes autorités.

Au casting de cette nouvelle série hospitalière, nous retrouvons pour personnage principal un médecin d'origine tunisienne : Laurent Valensi. Impliqué dans la vie de l'hôpital et de ses patients, il est particulièrement humain. Prêt à se battre quand le fléau se déclarera, il tentera de conserver son sang-froid malgré les nombreux risques de contamination. Marié et père d'une petite fille, il ne consacre pourtant pas assez de temps à sa famille, voué corps et âme à son statut de chef de clinique. C'est le gentil médecin par excellence, tout en abnégation.
Marc est récemment devenu l'ami de Laurent, et il sera un allié de choix dans le combat qu'ils vont mener. Chirurgien, Marc est également le coureur de jupons de l'hôpital. Bien que marié, il multiplie les aventures avec une grande partie de la gent féminine de Saint Louis.
Camille est une jeune interne, particulièrement dégourdie et impliquée elle aussi dans les soins qu'il faut prodiguer à Ali Benyoussef. Sans doute faut-il également que je signale que ses courbes sont particulièrement voluptueuses, vu le nombre de fois où il y est fait référence.
Gabriella Moraes est quant à elle une journaliste prête à tout pour que la vérité éclate et soit enfin médiatisée. Elle est également une femme dont le physique avantageux est particulièrement mis en avant. Laurent a bien du mal à détacher ses yeux de sa silhouette.
"Laurent aurait pu la regarder des heures, contempler chacun de ses traits, leur équilibre parfait."
En plus de quelques personnages secondaires qui apportent leur pierre à l'édifice, nous avons l'exécrable docteur Willot ( "Pour lui, les malades passaient après leur maladie." ), et le super méchant directeur d'hôpital, qui ne calcule qu'en fonction de ses propres profits.
Donc des personnages assez manichéens et stéréotypés qui vous dictent ce qui est bien et ce qui est mal et auxquels j'ai personnellement eu du mal à croire, trop beaux pour être attachants.
Même si certains nous offrent quand même des passages assez émouvants, l'ensemble demeure assez convenu.

Reste à évoquer le fameux Ali Benyoussef. Sa personnalité est à peine esquissée. Mais au-delà il s'agit de tout un symbole. Il est donc l'une des premières victimes françaises de ce que les médias appelleront à tort le cancer homosexuel. A travers ce personnage condamné à mort par le virus contracté, traité comme un chien galeux, se posent de multiples questions.
A commencer par celle de l'acharnement thérapeutique. Quoi qu'il arrive, ses jours sont comptés, et il souffre. Jusqu'où les médecins doivent-ils aller pour prolonger son existence de quelques jours, peut-être quelques semaines ? Quelle est la limite entre le soulagement provisoire et l'obstination inutile ?
Ensuite, il est déjà facile de discriminer un arabe homosexuel de nos jours, alors imaginez les débordements susceptibles d'apparaître plus de trente années plus tôt. Si un tel paria est condamné à mort, il facile de prendre un raccourci et d'évoquer un châtiment divin, cela ne peut que donner du grain à moudre à tous les racistes, les homophobes, sans compter l'église qui condamne ces relations contre-nature.
"Cette saloperie va être un prétexte pour déverser les pires horreurs, justifier les opinions les plus dégueulasses ..."
Et bien sûr, le roman explique les réactions des médecins face aux premiers cas d'une maladie à laquelle ils ne sont pas du tout préparés, qu'ils ne peuvent pas diagnostiquer, dont ils savent qu'elle est transmissible mais sans avoir aucune idée du mode de propagation. Pour certains, la réaction première est la fuite, pour ne surtout pas risquer de s'exposer à une maladie mortelle.
Alors comment s'y prendre pour soigner ce patient zéro sans prendre de risques ? C'est impossible puisque nul ne sait avec certitude d'où émane le danger. Faut-il mettre l'hôpital en quarantaine pour contenir la contagion ?
"Plutôt que d'isoler le service, on isolait le malade."
Et cet aspect du roman est extrêmement bien rendu en revanche. Cette peur d'une menace dont on ne savait alors rien a ce petit côté futuriste quand même, comme une attaque bioterroriste. Est-ce que les soigneurs les plus intrépides qui veulent coûte que coûte défendre le serment d'Hippocrate ne vont pas eux-mêmes attraper ce fameux LAV et le transmettre à leurs collègues, à leur famille ? Sont-ils courageux ou inconscients ? Quelle sont les bons gestes, quelle attitude avoir face à une maladie dévastatrice qui n'est pas encore reconnue ?
"Etre face au premier cas français d'une telle épidémie faisait peur."
Y a-t-il seulement une bonne réponse ?

Bien d'autres sujets brûlants sont également évoqués.
Il est beaucoup question de la religion juive, notamment au travers du frère aîné de Laurent qui s'est converti au judaïsme à la mort de ses parents.
" Y a pas d'homosexuels chez les juifs, c'est péché !"
Au travers du docteur David, éminent chirurgien d'origine tunisienne et qui a perdu en France toute possibilité d'exercer son premier métier se pose aussi la question de l'équivalence des diplômes et des capacités professionnelles, rarement reconnus d'un pays à l'autre.
Et puis on ne peut que constater que les problèmes des médecins d'hier sont les mêmes que ceux d'aujourd'hui. Comment annoncer à un patient qu'il va mourir ? Comment expliquer certaines morts accidentelles sur la table d'opération ? Comment concilier un métier avec de tels horaires et de telles responsabilités avec une vie de famille stable ? Comment être assez présent pour ses enfants ?

Je n'ai étrangement pas du tout eu l'impression de me plonger dans le passé. Je n'avais pas encore sept ans quand les premiers cas de sida ont été déclarés dans l'Hexagone et si je me souviens vaguement des premiers ravages de cette maladie mortelle, je m'intéressais davantage aux playmobils qu'à l'apparition de ce virus. Mais rien dans ma lecture ne m'a vraiment ramené dans les années 80, j'ai eu l'impression de lire une histoire de pandémie qui pourrait tout aussi bien se dérouler de nos jours, puisqu'aujourd'hui encore, je pense, les même questions et les mêmes enjeux se poseraient.
D'autant plus que les mots auxquels nous associons souvent ce virus sont tous absents du roman : Il n'est jamais question de sida, de séropositivité ou de VIH ... Ces mots n'existaient pas encore à la naissance de l'épidémie et toute la profession médicale était dans un flou quasi-total. Alors finalement, cette maladie ou une autre ... En 1982 ou en 2018 ... Je ne suis pas sûr que ça fasse une si grande différence.
Et il n'est pas impossible d'être confronté prochainement à une nouvelle sorte de virus d'une ampleur encore plus considérable.

Un dernier mot sur l'écriture pour dire que je n'ai pas trouvé la moindre originalité au style de Sarah Barukh, mais pour autant la lecture demeure très accessible. le jargon médical reste en retrait, ce qui rend la succession d'évènements intelligible sans avoir trop d'explications scientifiques incompréhensibles comme c'est parfois le cas dans ce type de roman.
Et il faut avouer qu'on ne voit pas passer les 540 pages, de nouveaux moments forts parvenant toujours à relancer notre intérêt.

Merci aux éditions Albin Michel et à l'opération masse critique privilégiée pour cette lecture en dents de scie. Même si l'idée de départ est excellente, riche en réflexions et parfois en émotions ; même s'il a été possible de broder autour d'un évènement réel une histoire terrifiante et pourtant plutôt crédible ; je n'ai pas été séduit d'un bout à l'autre, en particulier par les personnages manquant trop souvent de réalisme ou d'ambiguïté, une écriture trop quelconque, et un aspect trop manichéen, trop rempli de clichés, qui m'a parfois irrité.
Bien qu'ayant déjà lu des thrillers médicaux ( je songe notamment à l'excellent Mort clinique de F. Paul Wilson ), je suis un peu sorti de ma zone de confort avec ce roman, et il lui manque ce petit quelque chose qui fait vraiment la différence.


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