AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de corambe


Terrible lucidité de Bazin sur lui-même. Ce récit est plein d'ironie sur les autres et sur lui-même, et il en ressort à la fin un consentement aux évènements tels qu'ils se produisent, malgré les illusions dont on a pu se bercer, dont on n'est finalement pas dupe. Daniel, ce jeune veuf (un portrait vraisemblable de Bazin), vit avec ses 3 enfants, sa belle-mère, et sa bru Laure, vieille fille dévouée à sa mère et à ses neveux. Les 2 premiers enfants ayant quitté le nid familial, Daniel projette son amour filial sur le dernier, Bruno, encore mineur, au détriment d'un remariage avec Marie, une vieille amie complice qui n'attendait que cela et qui lui avait fixé un ultimatum. Mais il estime qu'il ne peut donner deux amours en même temps, il rejette donc l'amour de cette femme, et se consacre totalement à l'éducation de son dernier fils, tout en sachant (ou en feignant d'ignorer) que celui-ci s'éloignera de lui dans un temps pas si lointain. Il ne regrette pas ce choix cornélien, et ne songe pas un instant qu'il aurait pu faire de Marie sa maitresse, tout en restant auprès de son fils cadet, dont il se sent le plus proche, car celui-ci n'a pas l'arrogance de son frère ai-né ni la désinvolture de sa soeur. Mais Bruno, sans presque que son père s'en aperçoive, s'amourache d'une fille qu'il met enceinte, ce qui oblige à les marier dans la précipitation et à leur trouver un toit, qui sera la maison de Daniel, et ce dernier, plutôt que de cohabiter avec le jeune couple, ira vivre juste en face dans la maison de la belle-mère décédée où vit Laure. Puisqu'elle et lui sont désormais seuls, la seule issue qui paraît logique à Daniel est leur mariage, qu'il propose, un peu par lâcheté, et elle de l'accepter comme un soulagement, et une issue honorable à son existence sans éclat toute dévouée à autrui.
Bazin a été un romancier prolifique et renommé dans la France des années 60, mais il subit aujourd'hui son purgatoire. La lecture de ce roman, quelque 60 ans après sa publication, prouve que son talent a bien traversé les âges, mais certains aspects deviennent inévitable-ment datés, particulièrement dans le domaine des moeurs. Ainsi le jeune couple « fautif » n'a-t-il pas d'autre solution que le mariage pour « régulariser » sa situation. Il ne viendrait à l'idée de personne de leur suggérer l'union libre, surtout avec un enfant. Laure, célibataire passé ses 30 ans, ne songe pas à se marier, ayant intériorisé son « échec » dans le domaine des sentiments, elle songe encore moins à une aventure purement sensuelle, elle vit comme une sainte, partagée entre sa vieille mère et ses neveux, qu'elle sert tour à tour sans deman-der son reste. Daniel lui-même est, depuis son veuvage, dans un état d'abstinence totale, ce qui ne semble pas lui manquer. Et lorsqu'il réalise que Laure et lui vont se retrouver sous le même toit, suite à la cession de sa maison au jeune couple, il ne voit d'autre issue hono-rable que le mariage avec Laure, pour qui il n'éprouve ni sentiment amoureux ni attirance sexuelle, mais qu'il apprendra sans doute à aimer avec le temps. L'honorabilité bourgeoise est sauve dans tous ces exemples. Cet anachronisme, inévitable, n'enlève rien au plaisir de la lecture, car le récit est constamment soutenu par la prose acérée, lucide et désabusée de Bazin, dont un bon exemple est donné dans cette phrase du dernier chapitre :« On ne dit jamais tout, on dit seulement son possible. Les nus sont pour la nuit, qui les annule, et ils ne concernent que la peau ».
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}