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Critique de Enroute


Cette Europe allemande que refuse l'auteur est celle de sa compatriote Merkiavel. Comme le penseur italien, Merkiavel tire les ficelles des situations qui se présentent (fortuna) et ne prend une décision que lorsque la situation tourne à son avantage (virtu). Merkiavélique, la chancelière l'est parce qu'elle n'userait de la position hégémonique que prend l'Allemagne en Europe aujourd'hui que pour satisfaire de basiques besoins électoraux et nationaux, et ce, au besoins, sans soucis de l'honnêteté intellectuelle : "il est possible de faire aujourd'hui l'exact contraire de ce qu'on a annoncé hier si cela multiplie les chances de gagner la prochaine élection nationale". Merkiavel tient un double langage et n'utilise pas sa force pour la solidarité, mais pour un projet égocentrique. Pourtant, Merkiavel est en partie prisonnière de sa situation. Premièrement, elle n'y est pour rien si l'Allemagne est aujourd'hui si forte, c'est une situation qui est avérée et dont elle ne fait que profiter. Deuxièmement, cette situation d'une Allemagne forte aurait des répercussions complexes sur la population allemande. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le pays cherche une légitimité internationale et se "calibre" par rapport à l'Europe. Depuis 70 ans, être un bon allemand, c'est être un bon européen. le fait que l'Allemagne soit aujourd'hui forte signifierait donc qu'elle est parvenue à être une "bonne européenne" et que son modèle n'est plus hérité du "plus jamais ça", mais atteint une valeur universelle. Ce qui est bon pour l'Allemagne est bon pour l'Europe. Bien loin de porter un jugement dominateur sur l'Europe, les Allemands éprouveraient un sentiment de devoir, une responsabilité d'enseigner à l'Europe comment se réaliser, après avoir vécu ces dernières décennies sous l'humiliation des quolibets qui lui rappelait son passé pénible. En outre, Merkiavel ne serait finalement pas pire que les autres dirigeants européens qui n'ont pas davantage le "sens de l'Europe" que la chancelière : chacun ne pense qu'aux élections et, pour ce faire, il suffit de "bien passer" dans son pays. le projet européen n'intéresse personne. La question se pose de savoir combien de temps encore l'Europe peut tenir sans projet, tiraillée par la somme des intérêts contraires des gouvernements nationaux, niant la démocratie et se jouant des populations... la solution ne serait pas une énième réforme constitutionnelle, mais un sursaut participatif de la population, la faveur d'une cohésion et d'une solidarité européenne, qu'un pacte social européen inspiré de Rousseau aiderait à créer. Il comprendrait une meilleure défense des libertés, une protection sociale européenne. Afin de créer cet esprit de cohésion sans lequel tout projet européen est voué à l'échec, Beck propose un programme amenant tout européen à passer une année de volontariat social au bénéfice de l'Europe dans un Etat membre différent du sien dans le but d'apprendre à voir avec d'autres yeux (http://evs4all.eu/fr/manifeste/). Quel serait l'Etat qui, aujourd'hui, serait à même d'impulser ce contrat social ? le seul qui le puisse est le plus riche et le plus puissant puisque les autres sont sous perfusion. Cela nécessite que Merkiavel développe un peu son "sens de l'Europe"...


Le principal attrait du pamphlet est bien sûr la déclinaison sur tous les modes des travers de Merkiavel et l'invention truculente de ce mot-valise... par un universitaire internationalement reconnu allemand ! Mais au-delà, on est marqué par les exemples présentés par l'auteur pour soutenir son propos et par sa capacité à révéler - puisque c'est son point de vue - l'autoritarisme et la brutalité d'un projet européen qui, démarré pour contrôler la menace allemande, serait aujourd'hui devenu une sorte de "despotisme économique postmoderne" . La réflexion ne dérive jamais vers un nationalisme faussement inquiet ou une fausse modestie mal placée, ce qui était pourtant un risque dans ce type de propos (à l'image d'un fréquent "nous français devons faire notre mea culpa, mais nous sommes un peu au-dessus tout de même"). Au contraire, nul nationalisme, nul complaisance, l'idée avance et se développe, appuyé sur la notion de "société du risque développée ailleurs par le même auteur. Beck n'est pas le seul à repérer dans le projet européen un manque de participation des sociétés civiles davantage qu'un manque de démocratie institutionnelle. On pourrait objecter à l'auteur qu'en n'évoquant qu'un seul projet favorisant cette participation, il amenuise la portée générale de son constat en une promotion quasi personnelle...
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