AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de raton-liseur


Jurek Becker est d'origine juive et polonaise, il a vécu pendant la seconde guerre mondiale dans un ghetto juif avant d'être déporté dans des camps de concentration. Et pourtant, sur toutes les photos que j'ai pu voir de Jurek Becker, il rit aux éclats. Et son livre est un peu à l'image de ce paradoxe apparent. Jakob Heym, qui tente de survivre dans le ghetto tenu par les Allemands, apprend dans des circonstances un peu étranges que l'armée soviétique n'est pas loin. C'est l'espoir qui renaît tout un coup et Jakob ne peut pas garder cette nouvelle pour lui. Mais ne voulant pas dire comment il a appris la nouvelle, il ment et s'invente un poste de radio (pourtant interdit par les nazis).
Mais alors, Jakob, le terne, l'effacé, qui ne pense qu'à tenter de faire profil bas et de survivre, se retrouve prisonnier de son propre mensonge. Il comprend qu'il a commencé à donner de l'espoir et qu'il ne peut donc pas s'arrêter en chemin, ce serait pire que tout. Mais Jakob n'a pas de poste de radio, alors il ne peut qu'inventer les nouvelles suivantes, inventer l'espoir.
Et en plus de cette histoire très originale et sensible sur la notion d'espoir, sur ce que l'espoir fait à nos vies, sur la façon d'entretenir cet espoir, Jurek Becker nous donne à lire une prose d'une incroyable délicatesse. Il observe ses personnages dans leurs moindres réactions, leurs moindres froncements de sourcils ou pincements de nez, nous expliquant ce que signifie chacun de ces petits plissements de paupière, ce qu'il aurait fallu faire s'il n'avait pas été là, ce qu'on est obligé de faire maintenant qu'on l'a vu…
Avec cette histoire un peu improbable et avec cette attention extrême, cette tendresse, pour les personnages, Jurek Becker nous livre un roman d'une très grande originalité (je crois ne jamais avoir rien lu qui s'en rapproche en tout cas), et dans lequel je me suis plongé avec un plaisir auquel je ne m'étais pas attendu.
Le livre n'est pas gai, puisque l'Histoire, la vraie, la grande, celle avec une majuscule, est déjà passée par là et l'on sait qu'aucun ghetto n'a été libéré par quelque armée que ce soit. le ghetto de Jurek Becker ne fait pas exception, celui de Jakob Heym non plus. Et pourtant c'est un livre qui respire la vie, ce qui est une façon originale, déroutante au début, de traiter le sujet de la seconde guerre mondiale et de l'holocauste. Et pourtant, c'est peut-être cela que veut dire le rire de Jurek Becker : après toutes ces horreurs, et parce qu'elles n'ont pas tout anéanti, la seule option qui reste pour vivre, c'est l'espoir. Et tant pis si l'espoir repose sur un mensonge, ce qui compte c'est l'espoir, pas qu'il se réalise. Alors Jakob le menteur est en fait, à sa façon bien particulière, un résistant, un homme qui a aidé les siens aux heures les plus sombres. Qu'importe qu'il survive ou non, que ceux qu'il a aidés survivent ou non. Leur vie a été faite d'espoir et elle a été peut-être pas plus belle, mais plus supportable pour cela.
Un magnifique roman, peu connu, peu lu si j'en crois les sites de lecture français, mais un roman qui mérite d'être plus largement diffusé, tant il mélange le plus sombre de l'humanité et le plus lumineux. Un roman qui m'a marquée, et je sais que je garderai longtemps un Jakob dans le coin de ma tête, un Jakob menteur peut-être, mais un Jakob qui connaît la valeur de l'espoir.
Commenter  J’apprécie          00







{* *}